L'évaluation du leadership au sein des Forces canadiennes et les leçons tirées des événements en SomalieNote de bas de page 1

L'article suivant a été fourni par une source externe. Le gouvernement du Canada et le Collège militaire royal de Saint-Jean n'assument aucune responsabilité concernant la précision, l'actualité ou la fiabilité des informations fournies par les sources externes. Les utilisateurs qui désirent employer cette information devraient consulter directement la source des informations. Le contenu fourni par les sources externes n'est pas assujetti aux exigences sur les langues officielles, la protection des renseignements personnels et l'accessibilité.

Lieutenant-colonel Richard Garon

« By definition, leadership involves an effect upon others.
The most accurate description of where you are now as a leader must come from them »Note de bas de page 2

Introduction

Au cours de l'histoire, plusieurs échecs militaires ont été associés à un leadership déficient. Qu'il s'agisse de la défaite française de 1870 à Sedan ou de la bataille de Pea Ridge durant la guerre civile américaine, les faiblesses du commandement sont, plus souvent le symptôme de problèmes organisationnels que des manquements professionnels d'une seule personne. Dans certains cas, l'organisation peut même empêcher les bons leaders d'exercer leur talent et de gravir les échelons de la hiérarchieNote de bas de page 3.

Des officiers supérieurs de toutes nationalités ont étudié le leadership pour déterminer si le leadership est inné ou apprisNote de bas de page 4. Même si les avis demeurent partagés sur ce sujet, en attendant, tout comme les entreprises privées, la plupart des armées cherchent à évaluer le leadership de leurs chefs à tous les niveauxNote de bas de page 5 et à leur en enseigner les rudimentsNote de bas de page 6. Depuis une dizaine d'années, les Forces canadiennes (FC) ont beaucoup investi dans le perfectionnement professionnel de leurs chefs, notamment par le canal des études supérieures et à distanceNote de bas de page 7, même si le système d'évaluation du potentiel et du rendement des membres des FC n'a pratiquement pas été modifié au cours de cette période.

Dans ce contexte, cette recherche vise à déterminer quels sont les facteurs clés de l'émergence de problèmes de leadership au sein d'une organisation militaire, l'hypothèse étant que les FC ne disposent pas d'un mécanisme adéquat pour évaluer le leadership de ses chefsNote de bas de page 8. Le modèle proposé dans le tableau « Responsabilités des leaders des FC réparties selon les principales fonctions et les critères d'efficacités » du document du Ministère de la Défense nationale du Canada intitulé Le leadership dans les Forces canadiennes : Fondements conceptuelsNote de bas de page 9 nous servira de cadre théorique afin de vérifier cette hypothèse. Étant donné la portée limitée de cette étude, un seul cas sera étudié, celui de la défaillance de la chaîne de commandement entourant le déploiement du Régiment aéroporté du Canada en Somalie entre 1992 et 1993.

Cet essai est divisé en cinq parties. L'introduction est suivie d'une description du cadre théorique. La troisième section contient les informations nécessaires à la compréhension du cas étudié et l'analyse forme la quatrième partie, suivie de la conclusion.

Cadre théorique

Afin de mesurer et de parfaire le leadership de leurs membres, les FC proposent une grille de synthèse des responsabilités d'un leader basée sur cinq critères d'efficacité : succès de la mission, intégration interne, bien-être et engagement des membres, adaptation au monde extérieur et éthos militaire (voir ci-dessous). Dans cette grille, les obligations d'un leader varient selon que sa fonction principale soit de diriger des personnes ou de diriger l'institutionNote de bas de page 10. Cette grille a pour but d'informer les leaders des FC de leurs, mais elle permet également de dresser le bilan du leadership d'un chef.

Principales fonctions des leaders se rapportant à diriger des personnes et diriger l'institution par rapport aux critères d'efficacité
Critères d'efficacité Pricipales fonctions des leaders
Diriger des personnes Diriger l'institution
Succès de la mission

Acquérir une compétence personnelle et continuer de se perfectionner.

Préciser ses objectifs et ses intentions.

Savoir régler les problèmes et prendre des décisions en temps opportun.

Planifier, organiser et assigner des tâches.

Diriger; motiver par la persuasion et l'exemple et en partageant les risques et les dificultés.

Obtenir et gérer les ressources nécessaires à l'exécution des tâches.

Entraîner les individus et les équipes dans des conditions exigeantes et réalistes.

Fixer une orientation et des buts stratégiques.

Mettre en place les capacités opératinnelles requises (structure de force, équipement, commandement et contrôle).

Utiliser son bon jugement pour donner des conseils d'ordre militaire et décider de l'emploi des forces.

Concilier les obligations et les valeurs rivales, établir des priorités et attriubuer les ressources.

Développer le cadre de leadership.

Intégration interne

Structurer et coordonner les activités; établir des normes et des programmes d'activités.

Promouvoir l'esprit d'équipe et la cohésion.

Informer les supérieurs sur les activités et les faits nouveaux.

Informer les subordonnés; expliquer les faits et les décisions.

Comprendre et respecter les politiques et procédures.

Surveiller; inspecter; corriger; évaluer.

Élaborer un ensemble cohérent de politiques.

Encourager la curiosité intellectuelle et élaborer une doctrine de pointe.

Gérer les sens; utiliser les médias et le symbolisme pour maintenir la cohésion et le moral.

Élaborer et tenir à jour des systèmes efficaces d'information et d'administration.

Élaborer et tenir à jour des systèmes de vérification et d'évaluation.

Bien-être et engagement des membres

Encadrer et éduquer les subordonnés; les aider à se perfectionner.

Traiter les membres équitablement; répondre à leurs préoccupations; défendre leurs intérêts.

Régler les conflits interpersonnels.

Consulter les subordonnés sur les questions qui les touchent.

Surveiller le moral et assurer le bien-être des subordonnés.

Souligner et récompenser les réussites.

Tenir compte des besoins personnels dans le cadre du système de carrière et de perfectionnement.

Mettre en place des mécanismes d'expression individuelle et collective.

Assurer un règlement juste des plaintes.

Respecter le contrat social; maintenir de solides systèmes de qualité de vie et de soutien des membres.

Établir des systèmes de reconnaissance et de récompense.

Adaptation au monde extérieur

Maintenir sa connaissance de la situation; chercher des renseignements; se tenir au courant.

Prévoir l'avenir.

Favoriser l'innovation; expérimenter.

Apprendre des ses expériences et de celles des autres.

Établir des rapports utiles avec l'extérieur (interarmées, interagences, multinationaux).

Recueillir et analyser le renseignement; définir les menaces et défis futurs.

Amorcer et orienter le changement.

Favoriser l'apprentissage organisationnel.

Maîtriser l'art des relations civilo-militaires.

Développer des réseaux externes et des rapports de collaboration stratégique.

Produire régulièrement des rapports d'information destinés au monde extérieur.

Éthos militaire

Rechercher les responsabilités et les accepter.

Initier les recrues au code de conduite/aux valeurs, à l'histoire et aux traditions des FC.

Refléter et renforcer l'éthos militaire; maintenir l'ordre et la discipline; veiller au respect des normes professionnelles.

Favoriser le respect des droits individuels et la diversité.

Clarifier les responsabilités; responsabiliser les subordonnés.

Développer et maintenir une identité professionnelle; assurer la concordance entre la culture et l'éthos des FC; préserver le patrimoine des FC.

Refléter et renforcer l'éthos militaire; développer et maintenir le système de justice militaire.

Établir une culture conforme à l'éthique.

Ce cadre d'analyse présente cinquante-trois comportements que l'on peut attendre d'un bon leader. À titre d'exemple, mentionnons que pour répondre au critère d'efficacité Succès de la mission dans la fonction « diriger des personnes », le chef doit acquérir une compétence personnelle (dans son travail) et continuer à se perfectionner (au point de vue professionnel et technique). Pour cela, il lui faudra suivre des formations officielles ou informelles relatives à son métier, lire des ouvrages spécialisés, participer à des séminaires, etc.

Cette recherche étant limitée, il est impossible d'analyser le cas choisi en prenant en compte la totalité de ces cinquante-trois comportements. Nous n'en considérerons donc que cinq :

  • Mettre en place les capacités opérationnelles requises;
  • Structurer et coordonner les activités; établir des normes et des programmes d'activités;
  • Régler les conflits interpersonnels;
  • Favoriser l'apprentissage organisationnel; et
  • Clarifier les responsabilités et responsabiliser les subordonnés.

Afin d'obtenir une représentation la plus uniforme possible, nous avons sélectionné un comportement pour chaque critère d'efficacité. Trois d'entre eux relèvent de la fonction « direction institutionnelle » et deux de la « direction des personnes ». Puisque l'objectif est d'étudier le comportement des officiers supérieurs, nous avons jugé préférable d'observer plus d'éléments relatifs à la direction de l'institution qu'à la direction des personnes, cette dernière fonction étant généralement confiée aux chefs subalternesNote de bas de page 11.

En simplifiant la grille d'analyse et en limitant le nombre d'observations, nous espérons parvenir à disséquer aussi minutieusement la situation étudiée, tout en vérifiant notre hypothèse de travail. Il importe toutefois de noter que la présence d'un des comportements escomptés ne constitue pas une condition suffisante pour valider ou infirmer l'hypothèse.

Pour vérifier notre affirmation de base, il faudra que l'examen des cinq comportements démontre qu'il n'y a pas de mécanisme en place pour mesurer le leadership. Si, au contraire, l'analyse dévoile qu'il y a en effet un système d'évaluation du leadership au sein des FC, l'hypothèse sera alors infirmée. Les cinq comportements sélectionnés seront donc observés dans les circonstances du déploiement du Régiment aéroporté canadien en Somalie en 1992-1993.

Déploiement du Régiment aéroporté canadien en Somalie entre 1992 et 1993

La participation du Régiment aéroporté du Canada à la mission de maintien de la paix de l'ONU en Somalie en 1992-1993 s'est soldée par un certain nombre d'événements qui ont rendu nécessaire la tenue d'une commission d'enquête publiqueNote de bas de page 12 dont le mandat était de déterminer les circonstances ayant conduit à ces événements en enquêtant notamment sur « le système de la chaîne de commandement, le leadership, la discipline, les opérations, les actes et les décisions des Forces canadiennes, ainsi que sur les mesures et les décisions prises par le ministère de la Défense nationale touchant l'opération en SomalieNote de bas de page 13 ». Les résultats de cette enquête, déposés en décembre 1997, établissaient les circonstances entourant des coups de feu tirés contre des civils, la torture et le meurtre d'un détenu somalien, la tentative de suicide d'un soldat canadien, ainsi que les démarches entreprises pour dissimuler certaines informationsNote de bas de page 14.

La commission d'enquête a relevé un manque inquiétant de la part de la chaîne de commandement lors de la préparation et du déploiement du Régiment aéroporté du Canada. À cause de la confusion entourant les responsabilités des différents quartiers généraux et de l'absence de directives précises, l'unitéNote de bas de page 15 n'était pas préparée pour les tâches qu'elle aurait à accomplir et, lors de son déploiement, le contrôle des activités n'y était pas adéquatNote de bas de page 16. Pourtant, les paliers de commandement supérieurs n'ont pris aucune mesure pour pallier à ce manque de préparation. Selon le professeur David J. BercusonNote de bas de page 17, des dissensions seraient même survenues à ce sujet.

L'analyse rétrospective de la structure et des activités au sein du Régiment aéroporté du Canada a révélé qu'il y avait de sérieux problèmes internes, lesquels ont permis l'émergence d'une autorité informelle au sein du 2e CommandoNote de bas de page 18 qui s'opposait à la chaîne de commandement légitimeNote de bas de page 19. De plus, la structure de l'unité permettait aux sous-unités d'opérer de façon autonome, sans nécessairement coordonner leurs activités, minant ainsi la cohésion du régiment et empêchant que la poursuite des objectifs communs s'effectue de façon cohérenteNote de bas de page 20. À l'époque, aucune mesure n'était en place pour évaluer la structure et la coordination des activités d'une unité, les normes à atteindre ou les programmes d'entraînement. Le 21 octobre 1992, le commandant du Régiment aéroporté du Canada a été relevé de ses fonctions. Selon la commission d'enquête, la décision reposait sur le fait que ses supérieurs avaient perdu confiance en lui plutôt que d'un manquement quelconqueNote de bas de page 21.

Entre le 24 juin et le 19 octobre 1992, de nombreux incidents impliquant des membres du Régiment aéroporté sont survenus, indiquant qu'il existait de nombreux conflits interpersonnels au sein de l'unité et entre celle-ci et le quartier général supérieur. De fait, la commission d'enquête a relevé qu'il régnait un climat de méfiance, d'hostilité et d'animosité entre les sous-officiers supérieurs et les officiers de l'unité et que le sergent-major régimentaire, dont la tâche primaire était d'assurer la discipline au sein du Régiment aéroporté du Canada, minait publiquement l'autorité du commandantNote de bas de page 22. Lorsque le nouveau commandant fut nommé, on lui enjoignit de régler le problème, mais aucune mesure de contrôle ne fut émise par les paliers de commandement supérieur.

Avant leur déploiement, les membres du Régiment aéroporté du Canada devaient se préparer à participer à une mission de paix, mais la commission d'enquête a révélé que les membres de l'unité avaient de la difficulté à s'adapter aux opérations de l'ONUNote de bas de page 23. Les soldats comprenaient mal le droit de la guerre et les règles d'engagement. Certains membres démontraient même une agressivité démesuréeNote de bas de page 24. Mais, bien que ces comportements aient pu être observés durant certains entraînements, aucune mesure ne fut prise pour les corrigerNote de bas de page 25. L'organisation n'avait pas mis en place les conditions favorables à une préparation adéquate. En conséquence, les membres de l'unité n'ont pas été préparés de façon adéquate pour accomplir leurs tâches.

En décembre 1992, il fut décidé de déployer le Régiment aéroporté du Canada en Somalie, alors qu'il s'était préparé pour une mission d'une nature toute différente au SaharaNote de bas de page 26. Le rapport a établi que, lors du déploiement, la mission du régiment était confuse, les tâches mal définies et les relations de commandement improviséesNote de bas de page 27. Le processus décisionnel conduisant à l'utilisation du Régiment aéroporté du Canada pour la mission en Somalie avait omis la prise en compte de nombreux facteurs et permis le déploiement sans en définir exactement ni la mission, ni les responsabilités, ni les tâchesNote de bas de page 28. Contrairement à la pratique courante, le commandant de l'unité n'avait pas, avant son déploiement, été rencontré par le général de Chastelain, alors Chef d'état-major de la Défense (CEMD). Cette rencontre sert normalement à donner des précisions sur la mission à accomplir, ainsi que des directives supplémentaires, le cas échéantNote de bas de page 29. Dans ce cas, les responsabilités de l'unité furent fixées alors qu'elle était déjà sur le terrain.

Analyse des critères d'efficacité

La section précédente résume les circonstances entourant la préparation et le déploiement du Régiment aéroporté du Canada en Somalie. Dans celle-ci, nous allons examiner ces informations à l'aide des critères d'efficacité du cadre d'analyse, soit mettre en place les capacités opérationnelles requises, structurer et coordonner les activités, régler les conflits interpersonnels, favoriser l'apprentissage organisationnel et enfin clarifier les responsabilités et responsabiliser les subordonnés.

Mettre en place les capacités opérationnelles requises - Le rapport de la commission d'enquête relate les nombreux manquements de la chaîne de commandement par rapport à ce critère. En ne s'assurant pas qu'une structure adéquate de commandement ait été en place et en ne fournissant pas un entraînement adapté à la mission assignée, les chefs de cette unité ont dérogé à ce critère de leadership. Dans le cas qui nous occupe, il semble que l'on n'ait eu recours qu'à deux moyens de mesurer ce critère soit le Rapport d'appréciation de la performance (RAP) des différents chefs de l'unité et les résultats de l'opération. Or, ces deux moyens sont des méthodes d'évaluation rétroactives et ne permettent pas de rectifier le déroulement de l'activité avant son dénouement, si bien que, en l'absence de tout exercice de confirmation de l'entraînement, de toute vérification de la progression de la préparation et compte tenu du fait que les soldats ne disposaient pas de toute l'information et de tout l'équipement nécessaires à leur préparation, nous pouvons conclure à l'absence de tout moyen d'évaluer ce critère de leadership pendant le déroulement des opérations.

Structurer et coordonner les activités - Lors de l'entraînement et même durant le déploiement du Régiment aéroporté du Canada en Somalie, le commandant de l'unité et ses supérieurs n'ont ni structuré, ni coordonné les activités de manière adéquate. Les événements ont démontré que cela était, en partie, à l'origine des problèmes de l'unité. Le RAP des commandants de différents niveaux était le seul moyen de mesurer la bonne coordination des activités. Cependant, il s'agit d'une mesure rétroactive et subjective effectuée par un supérieur qui n'observe pratiquement jamais le déroulement des activités. Le licenciement d'un officier au motif qu'il avait perdu la confiance de son superviseur démontre que cette décision exceptionnelle a peut-être été prise de manière arbitraire plutôt que sur la base d'une analyse objective des critères d'évaluation du leadership. Comme il n'y avait pas eu d'exercice de validation, les supérieurs du commandant de l'unité n'avaient aucun moyen de juger, en se basant sur des mesures objectives de rendement, si les activités étaient structurées ou coordonnées de manière adéquate au sein de l'unité.

Régler les conflits interpersonnels - Les conflits au sein de l'unité étaient nombreux et le climat, malsain, mais les chefs n'ont pas pris les mesures nécessaires pour rectifier la situation. Aucune procédure n'a été mise en place pour sauvegarder le climat de travail et prévenir l'émergence d'une culture organisationnelle de désobéissance à l'autorité légitime.

Favoriser l'apprentissage organisationnel - L'incapacité de préparer l'unité et d'assurer sa cohésion témoigne d'un grave manque de leadership à tous les niveaux. Cette défaillance aurait pu être prévenue si un système d'évaluation de ce critère avait été mis en place, mais à l'époque, ce facteur ne semble pas avoir été pris en compte, ni dans le RAP des chefs de l'unité, ni dans les rapports postexercice suivant les entraînements collectifsNote de bas de page 30.

Clarifier les responsabilités et responsabiliser les subordonnés - L'improvisation et la confusion entourant la préparation et le déploiement du Régiment aéroporté du Canada démontrent l'incapacité des superviseurs au niveau stratégique de satisfaire à ce critère d'évaluation. Nous pouvons par ailleurs constater qu'il n'existait au sein des FC aucun moyen de détecter si ce critère était respecté ou non. À l'époque, le seul moyen de mesurer ce critère était l'évaluation individuelle d'un superviseur, soit le RAP. Mais il s'agissait plutôt d'un outil de gestion de carrière que d'une évaluation exhaustive du leadership - potentiel et effectif - d'un individu. En ne tenant pas compte des accomplissements collectifs du groupe évoluant sous la direction du leader concerné, une telle évaluation ne peut fournir qu'une appréciation partielle tributaire à la subjectivité d'un seul superviseur.

Cette section révèle que les dirigeants du Régiment aéroporté du Canada et des quartiers généraux supérieurs n'ont respecté aucun des critères d'efficacité du leadership sélectionnés pour cette étude. Nous avons pu constater qu'à l'époque, les FC ne disposaient d'aucun mécanisme permettant d'évaluer le leadership de leurs membres. Notre hypothèse se trouve donc validée. De nos jours, il existe de nombreux tests permettant d'évaluer le style, le potentiel, le niveau de connaissance, ainsi que les résultats d'un leader comme l'évaluation 360Note de bas de page 31 et l'exercice collectif de validation, mais à l'époque, les FC n'utilisaient que des évaluations subjectives et arbitraires effectuées par un superviseur qui, la majorité du temps, n'observait pas les actions de son subordonné et ne prenait pas en compte les résultats obtenus par le groupe. De plus, la mentalité qui régnait au sein des FC voulait que la carrière d'un militaire constitue un processus de sélection plutôt que d'apprentissageNote de bas de page 32. Les chefs recevaient que très peu de formation formelle en leadership. Enfin, il n'existait, à l'époque de la commission d'enquête, aucun moyen d'évaluer l'efficacité d'une unité et il était impossible, dans ces circonstances, de juger dans quelle mesure les critères d'efficacité du leadership étaient satisfaits.

En conclusion

Cette recherche nous a aidé à mieux comprendre le rôle que peut jouer le leadership des officiers supérieurs dans la réussite d'une mission, ainsi que pour prévenir les défaillances de l'organisation. L'analyse des incidents relatifs au déploiement du Régiment aéroporté du Canada en Somalie nous a permis de constater qu'à l'époque, les FC ne disposaient d'aucun moyen de mesurer le leadership de leurs chefs. Par contre, nous avons pu observer un certain nombre d'éléments importants de la théorie du leadership.

D'abord, le leader doit être capable de s'adapter aux différentes situationsNote de bas de page 33. S'il est amené à diriger des personnes, il lui faudra adopter une approche transactionnelle, et s'il occupe un poste élevé au sein de l'institution militaire, une approche transformationnelleNote de bas de page 34. Ensuite, il peut être difficile de mettre en pratique en tout temps tous les comportements nécessaires pour assurer un leadership efficace. Un chef doit être toujours vigilant et prendre les mesures nécessaires pour obtenir le meilleur rendement possible tout en continuant de développer ses aptitudes de leader. Troisièmement, la mise en place d'un système d'évaluation des critères d'efficacité du leadership permet de sélectionner les dirigeants possédant les meilleures aptitudes et de les aider à se perfectionner par une formation au leadership institutionnalisée. Mais surtout, ce système garantit l'identification et la rectification des défaillances du leadership au sein de l'organisationNote de bas de page 35. Finalement, étant donné que le succès des forces armées est avant tout basé sur l'efficacité du groupe, il est important, pour évaluer le leadership de ses dirigeants, de prendre en considération le rendement du groupe et pas seulement les qualités de l'individu.

Pour terminer par une question, on peut se demander si, quinze ans après le rapport d'enquête sur la Somalie, les FC ont vraiment tiré de cette expérience des leçons pouvant leur permettre d'éviter que de tels événements ne se reproduisent ou si une situation semblable demeure toujours possible.

Bibliographie

Certains des liens ci-dessous conduisent à un site d'une entité non assujettie à la Loi sur les langues officielles. L'information sur ce site est disponible dans la langue du site.

Benjamin, Daniel. « Le développement des chefs pour faire face aux défis du niveau opérationnel », Collège des Forces canadiennes, 1999.

Bercuson, David J. « Renaître de ses cendres : la reprofessionalisation des Forces armées canadiennes après l'affaire somalienne », revue militaire canadienne 9, no 3 (2009) : 31-39. Significant incident : Canada's Army, the Airborne, and the murder in Somalia. Toronto: McClelland and Stewart, 1996.

Bergeron, Pierre G. La gestion dynamique. Concepts, méthodes et applications. 3e éd. Boucherville : Gaëtan Morin, 2003.

Bolden, Richard. What is Leadership? University of Exeter: University of Exeter Centre for Leadership Studies, 2004.

Brodeur, Jean-Paul. « Maintien et imposition de la paix en Somalie (1992-1995) - Partie 1 » Cultures & Conflits, no 29-30 (1998) : 175-93.

Canada, gouvernement du. « Loi sur la défense nationale » edited by ministère de la Justice. Ottawa : ministère de la Justice, 1985.

Canada, ministère de la Défense nationale. A-PA-005-000/AP-004, Le leadership dans les Forces canadiennes : Fondements conceptuels. Kingston : Institut de leadership des Forces canadiennes, 2005.

Dessler, Gary, Frederick A. Starke, and Dianne J. Cyr. La gestion des organisations. Principes et tendances au XXIe siècle. Saint-Laurent : Éditions du renouveau pédagogique, 2004.

Gabriel, Richard A. Military Incompetence. Why the American Military Doesn't Win. New York : The Noonday Press, 1985.

Hackett, John. The Profession of Arms. London : Sidgwick & Jackson, 1983.

Imbeault, Marc. « Les études supérieures en ligne pour les leaders : Le cas des officiers des Forces canadiennes », Canadian Journal of University Continuing Education 37, no 1 (2011) : 1-11.

Nelson, Paul D. Personnel Performance Prediction. In Handbook of Military Institutions, edited by Roger W. Little, 91-121. Beverly Hills : Sage Publications, 1971.

Robbins, Stephen P., and Nacy Langton. Organizational Behaviour. Toronto : Pearson, 2003.

Somalie, Commission d'enquête sur la. « Rapport de la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie », Ottawa : TPSGC, ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux, 1997.

Strickland, Tod. « La cavalerie contre les panzers : une évaluation de la doctrine du leadership au sein de l'Armée de terre du Canada », Le Journal de l'Armée du Canada 8, no 1 (2005) : 43-57.

Traversi, David M. The Source of Leadership. Eight Drivers of the High-Impact Leader. Oakland: New Harbinger Publications, 2007.

Yones, Med. "Dysfunctional Leadership & Dysfunctional Organizations." Executive Journal (2011), http://www.iim-edu.org/dysfunctionalleadershipdysfunctionalorganizations/index.htm.

Date de modification :