Du commandement : approche pratiqueNote de bas de page 1

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Marc Imbeault et Michel Maisonneuve

Le commandement réel : une affaire de raison et de coeur

« Le chef militaire est d'abord un homme de coeur.
Commander, c'est réaliser un miracle d'équilibre entre la bonté et la fermeté »

Colonel de Torquat

Dans la « vraie vie », le commandement apparaît d'abord comme le résultat d'une série de procédures qui en expriment à la fois la puissance et les limites. Mais conformément à l'analyse de Gadamer et de Freund, encore faut-il que le commandant soit capable d'asseoir son autorité et d'assumer la solitude qui en découle, et ce, sans négliger de manifester de façon adquate ses habiletés (sous peine de se voir mal compris par ses subordonnés).

Mais au-delà de ces impératifs « de raison » qui appartiennent de façon intrinsèque à la position de commandant, il y a dans le commandement réel, surtout en situation de guerre, une dimension émotive qu'un bon commandant aurait tort de négliger. Cette dimension appelle des vertus et des attitudes qui échappent en partie à la définition de la fonction proprement dite et dont on pourrait dire faute d'un meilleur terme (et d'une définition plus précise) qu'elles relèvent du « coeur ». Il faut qu'un commandant ait « du coeur » pour traiter ses subordonnés de façon « humaine » (respecter leur dignité selon la maxime kantienne) mais aussi pour pouvoir assumer un rôle symbolique qui peut aller bien au-delà de ses attributions formelles.

1. La raison : les exigences de la fonction

1.1 La passation de pouvoir

Normalement, un commandant est choisi parmi une liste de candidats éligibles préétablie et accepte cet honneur avec humilité et reconnaissance. Dans certains cas, surtout au combat, un subordonné peut être forcé de prendre le commandement d'urgence, par exemple lorsque le commandant est dans l'incapacité de l'assumerNote de bas de page 2. Il peut aussi arriver qu'un individu en vienne à prendre le commandement parce que personne n'ose l'assumer : « ...prendre le pouvoir... alors que nul n'en osait assumer la charge...Note de bas de page 3. » Mais en principe, cette prise de commandement n'a qu'un caractère transitoire et, une fois la situation d'urgence passée, elle devra être confirmée par la hiérarchie (si celle-ci l'approuve) pour prendre son plein effet.

Comme l'illustre symboliquement la cérémonie de passation de pouvoir, les régiments durent (normalementNote de bas de page 4) mais les commandants passent : on leur confère le privilège d'assurer le leadership et la bonne administration de l'unité pour quelques années mais ils devront ensuite remettre ces responsabilités à leur successeur. La prise du pouvoir confère aussi la responsabilité de faire progresser l'unité.

La passation de commandement d'un régiment implique plusieurs activités dont certaines sont publiques et d'autres se déroulent en privé. Tandis que les premières ont pour but de signifier clairement que les rênes du régiment viennent de passer d'une personne à l'autre, les secondes visent à assurer la bonne administration de l'unitéNote de bas de page 5.

Parmi les manifestations publiques qui marquent la prise de commandement, la principale est une cérémonie dont l'ampleur peut varier selon l'importance de l'unité et les ressources disponibles et qui comporte généralement une prise d'armes (impliquant tout le personnel du régiment), souvent suivie d'un vin d'honneur et parfois d'un bal.

Selon les pays, on accorde plus ou moins d'importance au caractère public de la passation de pouvoir. Au Royaume-Uni, elle se fait en privé, sans événement public, et reste donc invisible aux yeux des subordonnés. Dans l'armée française en revanche, on organise une prise d'armes présidée par un officier de grade supérieur qui fait la déclaration rituelle suivante : « Officiers, sous-officiers et chasseurs du 12e Régiment, vous reconnaîtrez désormais pour votre chef le colonel X ici présent, et vous lui obéirez en tout ce qu'il vous commandera, pour le bien du service, le respect des règlements militaires et le succès des armes de la FranceNote de bas de page 6. »

Cette proclamation prépare le commandant à assumer ses responsabilités, l'installe formellement au sein de la hiérarchie de l'unité et signifie sans ambiguïté à ses subordonnés à qui ils doivent désormais leur loyauté. Elle insuffle aussi au commandant de la volonté et lui confre une certaine autorité - qu'il lui reviendra de conforter tout au long de son mandat.

1.2 Le rayonnement et l'autorité du commandement

Le style de commandement employé est « contagieux » et se propage à travers l'organisation. On a ainsi déjà dit d'un commandant et de son sergent-major régimentaire qu'ils étaient des « jumeaux » et que tous les hommes de leur unité étaient à leur imageNote de bas de page 7. Il est naturel, dans une unité, que les subordonnés prennent leur exemple du commandant - qu'il soit bon ou mauvais.

L'autorité d'un commandant provient d'abord de ses attributions et de son poste. Elle lui est conférée par ses supérieurs et fait normalement l'objet d'une lettre formelle du supérieur. La formule de l'armée française citée plus haut en fait une annonce publique, mais même lorsque ce n'est pas le cas, le commandant doit imposer son autorité dès les premières journées de sa prise de fonctions.

Les subordonnés sont généralement disposés à laisser au nouveau commandant un certain temps avant de juger s'il est ou non à la hauteur de ses nouvelles responsabilités. Si c'est le cas, son autorité et la cohésion du groupe en seront renforcées. S'il n'est pas capable de prendre ses responsabilités (et même s'il ne s'agit que d'une impression ou perception), son autorité sera minée et la cohésion en souffriraNote de bas de page 8.

Les subordonnés qui oeuvrent dans une unité quelconque se montrent fiers d'être sous les ordres d'un bon commandant et s'attendent à ce qu'il reçoive les honneurs correspondant à son poste. Il est donc important que l'on marque la prise de commandement d'une manière appropriée pour cet « auditoire » interne. Pour certains, cela constitue aussi un exemple et présente un but à atteindre.

Les premiers jours de commandement sont très importants car ils donneront le « ton » à toute la durée de l'exercice. Durant cette période de « prise en main », le nouveau commandant pourra effectuer tous les changements qu'il veut et apposer son empreinte personnelle sur l'unité. La première impression qu'il donnera sera celle qui se propagera dans toute l'organisation. De plus, il existe une école de pensée (à laquelle nous souscrivons) selon laquelle il est préférable, au début d'un commandement, de laisser un minimum de latitude aux subordonnés : pour prendre en main un cheval, le cavalier doit lui tenir les rênes courtes! Et ce n'est qu'une fois l'empreinte du commandant apposée sur l'unité et sur ses membres, qu'on pourra les relâcher.

Une fois leurs fonctions prises, il importe que les commandants soient capables de démontrer publiquement qu'ils sont capables de les assumer. Et ce, non seulement vis-à-vis de la société en général, mais aussi des membres de leur unité. On a souvent vu des officiers supérieurs qui ne savaient pas s'adresser à leurs hommes. Or, même si, en privé, un officier prend d'excellentes décisions, gère parfaitement les ressources et défend de son mieux ses hommes, peu d'entre eux auront l'occasion de le constater s'il ne manifeste pas publiquement les mêmes qualités. La plupart n'auront l'occasion de le voir que lorsqu'il prononce une allocution. D'où l'importance de savoir s'exprimer en public.

Un amiral qui avait réussi à arriver à un très haut niveau était le meilleur défenseur de la troupe : il avait vraiment son bien-être à coeur, et n'hésitait pas à prendre des positions courageuses - même devant les autorités politiques. Ceux qui avaient la chance d'assister à ces réunions en conçurent rapidement beaucoup d'admiration pour lui. Mais devant ses subordonnés, cet officier se montrait gêné, confus, et incapable d'exposer clairement ses idées, si bien que ses subordonnés ne pouvaient apprécier ses qualités à leur juste valeur et n'auraient pas été prêts à le suivre dans des situations difficiles. Un bon commandement demande donc un certain équilibre entre substance et éclat.

1.3 La solitude intrinsèque du commandement

Sauf en cas d'extrême urgence (par exemple lors d'opérations de combat), il est rarement nécessaire d'exiger des subordonnés une obéissance aveugle. Par ailleurs, selon leur niveau d'éducation et les informations dont ils disposent, ils peuvent se forger des opinions bien fondées et souvent utiles à la bonne gestion de l'unité. Il est donc préférable, dans la mesure du possible, de les impliquer dans l'exercice du commandement.

Il arrive toutefois un moment où le commandant doit décider. Pour ce faire, il doit posséder une grande clarté d'appréciation et un solide esprit de décision, mais aussi du courage. C'est en effet à ce moment-là que se font sentir la solitude et le poids des responsabilités, d'autant plus que sa décision peut avoir des conséquences extrêmement importantes et même, dans les cas extrêmes, entraîner la mort de ses subordonnés.

Au Rwanda, le lieutenant-général Dallaire a dû faire face à des situations où il devait prendre des décisions difficiles. Alors que les soldats belges placés sous son commandement étaient menacés par des guerriers hutus dans un camp de l'ONU, il a décidé de ne pas intervenir mais de participer plutôt à une rencontre avec les autorités pour essayer de les convaincre de lever leur menace. Les soldats belges ont été massacrés. Nul ne peut dire si la décision prise par le général Dallaire dans cette situation a été la bonne. Si Dallaire était intervenu immédiatement, la mission entire aurait pu être compromise. Ce qui est sûr, c'est qu'il a dû prendre sa décision seul et qu'il en est seul responsable comme il l'affirma lui-même : « Je prends la responsabilité de chacune de mes décisions...Note de bas de page 9 ».

En septembre 1993, en ex-Yougoslavie, près du village de Medak, une unité canadienne placée sous le commandement de l'ONU progressait dans un secteur serbe qui avait été occupé par les Croates. Or, au fur et à mesure qu'ils se repliaient, et sans que les dirigeants de l'ONU ne le sachent, les Croates détruisaient les maisons et en tuaient les occupants serbes et leurs animaux, pratiquant en quelque sorte la politique de la terre brûlée. Pour les empêcher de tout détruire, le commandant du bataillon canadien voulait accélérer son avance mais son supérieur estimait le risque trop grand pour les Canadiens. Des vies serbes auraient-elles pu être sauvées si le bataillon canadien avait accéléré son avance? Des Canadiens auraient-ils été tués? Le commandant supérieur a dû prendre cette décision seul, de sa propre volonté, et il en porte seul la responsabilité.

L'un des plus tragiques incidents qui se soit récemment présenté est sans doute celui du capitaine Semrau, qui a soulevé une polémique au Canada. Le 19 octobre 2008, alors qu'il se trouvait à la tête d'une unité de l'armée afghane, celui-ci a en effet décidé de mettre fin aux jours d'un « soldat » ennemi gravement blessé qui était resté sur le terrain à l'issue d'un affrontement avec les Talibans. Le soldat en question avait perdu ses jambes et, de l'avis du capitaine, souffrait atrocement. La situation ne permettait pas de prodiguer de soins au blessé, la troupe ne disposant d'aucun médicament susceptible d'allger ou d'abréger ses souffrances et ne pouvant pas non plus obtenir de secours dans un délai raisonnable (il serait mort au bout de son sang avant). Le capitaine a donc jugé que la seule chose à faire était de l'achever.

Au-delà des questions légales qui ne sont pas l'objet de ce texte, une question morale se pose. Faut-il laisser souffrir atrocement un ennemi sur le point de mourir ou bien y mettre un terme en abrégeant sa vie ? Il est douteux que cette question puisse recevoir une réponse définitive et dogmatique mais il ne fait pas de doute qu'il s'agit là d'une des décisions les plus difficiles qu'un chef - et qu'un homme - puisse avoir à prendre. Et ce, d'autant plus qu'elle doit être prise rapidement.

1.4 Gestion et vision

Le bon commandant doit pouvoir gérer efficacement tous les moyens dont il dispose. Dans le cas des militaires, la gestion des ressources humaines est la tâche la plus importante, mais il y a aussi des centaines de milliers de dollars de matériel. La réputation d'un commandant qui ne sait pas « gérer » ses hommes en garnison autant qu'au combat sera vite ternie et ses subordonnés feront tout pour quitter son unitéNote de bas de page 10.

Le commandant doit avoir une vision c'est-à-dire une idée claire de la direction dans laquelle il veut orienter son unité. Cette « vision », qui varie évidemment selon le niveau de commandement, implique fondamentalement une notion de mouvement ou de déplacement : un bon commandant ne peut se satisfaire de maintenir le statu quo, mais doit toujours chercher à faire progresser l'organisation et trouver des façons plus efficaces, moins coûteuses, plus rapides, d'accomplir sa mission.

Non seulement cette approche permet d'élaborer de meilleures solutions, mais elle force l'organisation à s'auto-discipliner. On pourrait appeler cela un effort de transformation interneNote de bas de page 11. Du point de vue du commandant, on pourrait dire que, ce faisant, il « travaille pour son successeur ». Car s'il améliore le fonctionnement de son unité pendant la durée de son commandement, il pourra la lui remettre en meilleur état.

Une facette importante de l'art du commandement est qu'il puisse être modifié en fonction de ceux que l'on commande. Par exemple, l'armée française a du réviser son approche du commandement lors de la professionnalisation des armées françaises en 2003. D'après le Chef d'état-major de l'armée de terre française, « ...ce service est devenu l'expression d'un choix délibéréNote de bas de page 12. »

2. Le coeur : les exigences de l'humanité

Le commandement est une affaire de raison, mais c'est aussi une affaire de coeur, un « art » qui peut difficilement être appris dans une école, mais qui se raffermit avec l'expérience.

2.1 Le facteur humain

Tout commandement implique des relations humaines et exige donc une approche centrée sur l'être humain, surtout dans le cas du commandement d'une organisation militaire car, comme le souligne le lieutenant-colonel Ian Hope, « [un] commandant [doit] savoir qu'à la guerre, tout dépend de l'être humain et de la personnalitéNote de bas de page 13 ». Le commandant doit donc s'assurer de ne pas gaspiller sa plus importante ressource : les hommes qui sont sous ses ordres.

Par ailleurs, ceux qui choisissent la profession des armes peuvent être appelés à faire le sacrifice ultime, celui de leur vie, et le commandant peut devoir leur donner un ordre qui la mette en danger. Or, plus un commandant met de coeur à commander ses troupes, et plus il les aide à garder un moral élevé et une bonne cohésion, plus il aura de succès au combat.

La décision d'achever un blessé discutée plus haut peut se justifier du point de vue moral si l'on considère que le respect de la vie n'est pas une valeur absolue, ou du moins qu'il n'implique pas que l'on doive, pour protéger la vie, obliger la personne (soi ou un autre) à supporter d'atroces souffrances. Si tout homme a le droit de mettre un terme à ses souffrances, peut-être a-t-il le droit de mettre un terme à celles d'un autre lorsque celui-ci n'est plus en mesure de le faire lui-même et qu'aucun autre moyen n'est disponible pour y arriver. La question qui se pose cependant est de savoir si, et jusqu'à quel point, l'on peut être en mesure d'évaluer la souffrance et de la distinguer de la détresse psychologique qui, elle, ne sera sûrement pas soulagée par une balle dans la tête. En l'absence d'une demande explicite du blessé, c'est une question qu'il peut être difficile de trancher surtout dans l'urgence du combat. C'est probablement pour cette raison que le règlement militaire (comme, d'ailleurs, les lois civiles actuelles sur l'euthanasie) excluent de laisser un individu libre de décider de son propre chef de la conduite à adopter dans ces conditionsNote de bas de page 14.

Mais, au-delà de la discussion au sujet du droit à la vie et aux questions relatives à l'euthanasie, l'expérience du capitaine Semrau illustre non seulement combien il peut être difficile à un commandant de prendre des décisions sur le terrain, mais aussi la part que le « coeur » peut y jouer.

Enfin, la société attend des militaires qu'ils emploient leurs armes avec discipline et rigueur, sous un contrôle strict, et en toute légalité. On s'attend à ce que la profession des armes soit exercée avec coeur, pour le bien-être de la communauté, et c'est le commandant qui en est le garantNote de bas de page 15.

2.2 L'affection du commandant pour ses hommes

Par-delà des considérations rationnelles, il y a un facteur émotionnel et même affectif dans la relation qu'entretient un commandant avec ses troupes. En effet, pour les hommes et les femmes qui la font, la guerre représente aussi une épreuve au niveau personnel et moral, et le commandement doit prendre cette dimension en compte : « Au-delà des principes, au-delà des idées, que chaque chef soir persuadé que ce qu'il a de plus beau à recevoir de ses subordonnés, c'est la confiance qu'il lira dans leurs yeux, l'adhésion qu'il discernera dans leurs attitudes, parce qu'il aura appris à les connaître, parce qu'il les aura écoutés, respectés, parce qu'il les aura aimésNote de bas de page 16. »

Le bon commandant a pour ses hommes de l'admiration, voire même de l'affection. Cette affection renforce aussi la cohésion du groupe. Les subordonnés qui ont confiance en leur commandant et en ses capacités sont unis dans leur confiance. Le commandant qui commande « à coeur ouvert » en vient ainsi à établir une relation presque filiale avec ses hommes.

Le commandant devient alors un peu le père de son unité, surtout en mission de combat. En voici un exemple. Lors d'une mission opérationnelle loin du pays, quand sonne le Nouvel An, un officier demande à son commandant de lui donner la bénédiction paternelle en remplacement de son père (une tradition qui remonte aux premiers temps de la colonie dans certaines familles québécoises). Le commandant, ému mais ne voulant pas attirer l'attention, lui demande de le rejoindre quelques minutes plus tard dans une salle à part avec les deux ou trois officiers qui voudraient peut-être eux aussi recevoir cette bénédiction. Mais lorsque le commandant arrive à l'endroit convenu, il y retrouve tous les officiers agenouillés, attendant la bénédiction.

De leur côté ses subordonnés prennent souvent exemple sur le commandant, au point même parfois d'en devenir « une image miroir ». L'affection du commandant pour ses hommes devient ainsi un rapport d'affection mutuelle, qui renforce la cohésion du groupe.

2.3 L'importance de la vérité

La vérité doit tenir une place importante dans toute discussion sur le commandement car c'est sur elle que repose la confiance entre le chef et ses subordonnés. Et il ne s'agit pas seulement de dire la vérité mais aussi de se comporter de façon véridique, en accord avec ses paroles.

Il va de soi qu'un commandant ne peut pas toujours donner toutes les informations à tous ses subordonnés : la sécurité de la mission pourrait en être compromise. Ses subordonnés apprécieront toutefois qu'il s'efforce de leur donner le plus de détails possibles. D'une manière générale, le commandant doit faire un effort pour communiquer avec ses troupes et ne doit pas craindre de leur laisser voir « l'intérieur de son âme » et de dire « je ne sais pas », « je ne peux pas vous répondre » ou « j'ai fait une erreur ».

Le commandant qui a à coeur de communiquer doit aussi choisir le bon moment pour le faire. Après un coup dur ou une crise, ou lorsqu'une situation externe à l'unité risque d'influer sur son moral, il doit faire face aux questions et rumeurs d'une manière directe et véridique pour calmer les esprits. Ainsi, lorsque les médias ont révélé qu'un officier des Forces canadiennes avait été accusé de crimes horribles, le moral de toutes les unités a été affecté. Le devoir des commandants était alors de les rassembler dès que possible pour leur parler de la situation, répondre à leurs questions et les rassurer quant au processus d'enquête.

Du point de vue du comportement, coeur et vérité signifient d'abord que le commandant doit obéir à ses propres préceptesNote de bas de page 17. Les subordonnés finissent toujours par savoir si un commandant est honnête dans son comportement personnel. Il est difficile de leur cacher des manquements à la discipline (relations inappropriées, par exemple) et ceux-ci portent atteinte au commandement dans son entier.

Conclusion

Le commandement repose sur la volonté et s'exerce dans le cadre d'organisations hiérarchiques comme l'armée. Le pouvoir de commander s'exerce dans des institutions qui dépassent l'individu qui en est investi. L'autorité de celui qui commande, quant à elle, provient certes de la position qu'il occupe mais ne peut se maintenir qu'à la faveur de la reconnaissance de ceux qui lui obéissent. C'est que la dialectique du commandement et de l'obéissance n'est pas le fruit d'un simple rapport de force mais, plus fondamentalement, celui d'une connaissance : celle de la prééminence du jugement d'autrui dans un domaine défini. Mais, cette dynamique du commandement force parfois le chef à prendre des décisions lourdes de conséquences et il est le seul à pouvoir le faire.

Le commandement est donc une affaire de raison; dans les Forces canadiennes, le processus de la prise de commandement est traditionnellement public et les responsabilités qui y sont associées sont claires. Le chef doit s'affirmer dès son entrée en fonction. Les premières semaines en poste donneront le ton au reste de son commandement. Mais la fonction implique aussi une part de solitude, qui se manifestera surtout lors de la prise de décision, une responsabilité que le commandant doit inévitablement assumer seul au bout du compte.

Finalement, un bon commandant ne peut s'empêcher d'agir avec cur; son humanité augmentera les chances de son succès. Commander des hommes et des femmes est un privilège qui doit être pris au sérieux - c'est un art, et c'est une science. Mais, par-dessus tout, le commandement relève de la capacité à se faire obéir en vue du bien commun.

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