Hubert Aquin : entre révolution et démocratie ?

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Élève-officier Brière, Collège militaire royal de Saint-Jean

L'auteur Hubert Aquin a écrit maints ouvrages. Surtout connu pour ses romans, il a aussi écrit divers articles de journaux. Ces articles ont été écrits dans plusieurs revues au début des années 1960. Ouvertement nationaliste, il prône l'indépendance du Québec par tous les moyens possibles. Arrêté en 1964 après avoir rejoint le Front de libération du Québec, il plaide la folie à son procès. Il est donc incarcéré dans un hôpital psychiatrique où il commencera la rédaction de son premier roman ; Prochain épisode. Dans son roman, le personnage principal est un révolutionnaire luttant pour libérer son pays. Son personnage est le citoyen idéalisé et rêvé par Hubert Aquin des Québécois qui ne prendront jamais position en faveur de la lutte armée. Souvent associé à une figure révolutionnaire, Hubert Aquin sera loin d'être vraiment un guérillero ou le partisan armé d'une cause. Les articles qu'il écrit dans Liberté et Parti Pris laissent d'ailleurs planer un doute quant à ses véritables convictions politiques. Par l'analyse de ses articles dans Parti Pris et Liberté, je chercherai à savoir si Aquin était un véritable révolutionnaire d'aspiration marxiste-socialiste ou s'il était davantage un nationaliste libéral, en faveur d'un combat démocratique.

Pour les besoins de ce travail, trois textes d'Aquin ont été sélectionné : L'existence politique (1962), Un ancien officier du R.I.N. regrette sa disparition (1968) et La fatigue culturelle du Canada français (1962). Les deux premiers articles sont parus dans la revue Liberté, alors que le troisième a été premièrement publié dans Cité Libre. Ces textes amènent à se demander si Aquin souhaitait une véritable révolution radicale ou s'il souhaitait la simple indépendance de sa province.

Tout d'abord, dans le premier texte, Aquin avance l'idée que les Québécois ont peur de l'indépendance en raison des déboires historiques qu'ont eu sont qui ont proposé cette idée, comme les Patriotes en 1837. Par la suite, il souhaite que les chefs politiques des années 1960 prennent position concernant ce sujet et cessent d'ignorer l'idée de l'indépendance du Québec. Il termine son texte en soulignant que ce projet ne pourra s'effectuer que par la révolution.

En 1962, Aquin répond, avec « La fatigue culturelle du Canada français », à un texte de Pierre Elliot Trudeau qui était en faveur du fédéralisme et qui avait paru dans Cité Libre Aquin dénonce notamment les liens que Trudeau, intellectuel et futur premier ministre canadien, élabore entre le nationalisme et la guerre. Trudeau fait une telle association notamment grâce au nazisme. Quant à Aquin, il avance le nationalisme comme étant un élément important du progrès humain.

Dans « Un ancien officier du R.I.N regrette sa disparition », Aquin s'attaque aux chefs du R.I.N. qui ont accepté de fusionner avec le Parti québécois. Il accuse également René Lévesque d'être à la tête d'une religion et rejette la « générosité » politique de ces chefs.

Bien que seulement trois des articles d'Aquin soient examinés plus en profondeur, il convient de mentionner que d'autres textes servent parfois de référence. Par ailleurs, bien qu'aucun des articles mentionnés précédemment n'aient été publié en premier dans Parti pris, il importe de souligner que plusieurs de ses articles ont abouti dans cette revue. Cette dernière, ainsi que Liberté, offre des textes qui correspondent aux idées socialistes et marxistes. Elles ont néanmoins tous une prise de position en faveur du nationalisme québécois également. Ainsi, si Aquin écrit dans ces revues (et même dirige l'une d'entre elles), quel point de vue idéologique privilégie-t-il ? En utilisant les textes mentionnés précédemment, je crois qu'Aquin, bien qu'il utilise une rhétorique très radicale et révolutionnaire (emploi des mots « révolution », « ennemis », etc. à maintes reprises) et qu'il ait décidé de rejoindre le Front de libération du Québec en 1967, est un davantage un nationaliste. Il est davantage un nationaliste, car la violence qu'il écrit est révélatrice d'un besoin de laisser un héritage, de se faire connaître. Par ailleurs, l'action politique qu'il prône est seulement utile pour donner un sens à ses œuvres, sans quoi il craint qu'elles ne soient que des textes stylistiques sans but. De plus, il existe plusieurs contradictions dans les écrits d'Aquin ; cependant, le nationalisme est la thématique qui permet d'établir un fil conducteur dans ses textes.

Afin de comprendre les œuvres d'Aquin et ses pensées politiques, il est important de résumer la vie de ce dernier. Né en 1929 à Montréal, il entreprend des études en philosophie à l'Université de Montréal d'où il reçoit son baccalauréat en 1951. De 1952 à 1955, il poursuit des études en politique à Paris, puis rentre à Montréal la même année pour travailler à Radio-Canada et à l'Office national du film. En 1960, il commence à militer politiquement au sein du Rassemblement pour l'indépendance nationale (R.I.N.). En 1961, il devient directeur de la revue Liberté, où il publie divers textes, tout comme dans la revue Partis pris, revues d'inspiration socialiste. En 1964, il annonce par une lettre au journal Le Devoir qu'il prend le maquis et rejoint le Front de libération du Québec. Quelques jours, plus tard, il est arrêté en possession d'armes à feu. À son procès, il prétendra avoir été fou et sera interné pendant 7 mois à l'hôpital psychiatrique. Durant son incarcération, il écrira son premier roman, Prochain épisode, qui connaîtra un grand succès. Pour ce livre, il recevra le Prix du gouverneur général, honneur qu'il refusera en raison de ses convictions politiques. Par la suite, il publiera d'autres livres, notamment Trou de mémoire (1968), l'Antiphonaire (1969), Point de fuite (1971) et Neige Noire (1974). En 1968, il cesse toute activité politique, se disant trahi par les élites du R.I.N. qui ont fusionné avec le Parti québécois de René Lévesque. Il travaillera par la suite à l'Université du Québec à Montréal, où il enseignera la littérature jusqu'à son suicide en 1977.

Dans le documentaire « Deux épisodes dans la vie d'Hubert Aquin », une citation de Borges est utilisée au début pour décrire l'écrivain : « Chaque écrivain laisse deux œuvres. L'une est son œuvre écrite et l'autre, peut-être la plus importante pour la gloire ou la renommée, c'est son image. » Cette citation est utile pour comprendre la décision d'Aquin d'employer un vocabulaire très radical, car il cherche à s'associer au mouvement de décolonisation qui a lieu a la même époque et veut projeter l'image d'un révolutionnaire. Ainsi, l'appel qu'il lance à la fin de « L'existence politique » prône la révolution, malgré les embûches qu'il peut y avoir devant celle-ci. Cette déclaration n'est en fait que la démonstration du caractère extrémiste d'Aquin. Un de ces bons amis, Pierre Lefebvre déclare d'ailleurs qu'il « valorisait l'excessif ». Il importe donc d'évaluer l'importance de cet extrémisme chez lui, avant d'accorder une importance quelconque au vocabulaire de l'écrivain. Par exemple, le 18 juin 1964, il envoie une lettre au journal Le Devoir qui la publie. Dans cette lettre, il annonce qu'il « déclare la guerre totale à tous les ennemis de l'indépendance du Québec ». Cette même journée, il reçoit par le Front de libération du Québec, organisation terroriste indépendantiste d'inspiration socialiste, le titre de « Commandant des opérations spéciales ». À cette déclaration, qui suggère un recours un à la violence, Aquin n'agira pas violemment : bien qu'il se soit procuré un pistolet, il passera la majorité de ses journées dans la clandestinité, à lire des livres, selon les dires d'Andrée Yanacopoulo, femme qui le cachait. Ses actions contrastent ainsi avec ses écrits et avec l'image qu'il cherche à projeter : un guérillero combattant pour une cause, un idéal. Lorsqu'il se fait arrêter par la police à Montréal à l'été 1964 et que les agents lui demandent quel est son métier, il répond par « révolutionnaire ». Encore une fois, les mots et la rhétorique d'Aquin ne coïncident pas avec sa véritable personnalité : lors de son procès, au lieu de défendre sa cause et ses actions tels que le leader patriote De Lorimier, qu'il considère comme un exemple de chef révolutionnaire et qui avait déclaré jusqu'à sa pendaison qu'il ne regrettait rien, Aquin agira plutôt « en Papineau » : il prétendra la folie et évitera la prison. Alors qu'il décriait dans son texte « L'art de la défaite » le comportement de Papineau, qui en 1838, après la défaite des Patriotes, s'étaient réfugié à Paris et avait expliqué ses gestes, Hubert Aquin agira d'une façon très semblable, refusant d'aller jusqu'au bout des convictions qu'il avait exprimées dans ses écrits. Il fait donc preuve d'un manque de radicalité et de foi dans sa cause, attitudes pourtant associées à la révolution. Les attitudes d'Hubert Aquin ne concordent donc pas avec ses écrits, ce qui laisse penser que toutes les thématiques du socialisme et de la révolution doivent être retirées des textes d'Aquin : seulement la pensée du nationalisme persiste et rencontre une certaine continuité.

Ce manque de continuité est également notable dans deux écrits : « Un ancien officier du R.I.N. regrette sa disparition » et « L'existence politique ». Dans le premier texte, Aquin suggère de diviser la politique en deux clans : « ceux qui combattent la Confédération et ceux qui la défendent.» Or, dans le second texte, il décrit le fait que le R.I.N ait été « fossoyé » par ses dirigeants au nom d'une cause plus grande et d'une « générosité » politique. Il est donc ici possible de déceler une partie de l'incohérence d'Aquin dans ses écrits. Cette même incohérence se reflète dans sa lettre au journal Le Devoir et dans La fatigue culturelle du Canada français. Dans Le Devoir, il annonce qu'il se joint au F.L.Q. et prend les armes contre le gouvernement fédéral canadien. En faisant ainsi, il se contredit : alors qu'il refusait l'association des termes nationalisme et guerre effectuée par Trudeau, Aquin agit violemment, motivé par une cause nationaliste. Il accorde ainsi raison à Trudeau par ses actions. De même, dans L'Existence politique, Aquin déclare qu'il « n'attend pas des révolutionnaires à képi ou à mitraillettes » pour effectuer l'indépendance du Québec, prêchant la voie démocratique plutôt que celle des armes. Or, les agissements de l'écrivain s'inscrivent en faux contre cette déclaration, devenant lui-même un « révolutionnaire à mitraillettes » en devenant membre du F.L.Q. Par l'inconsistance de ses propos sur la radicalité des moyens qui doivent être pris pour réaliser l'indépendance du Québec, il convient de ne pas trop accorder d'importance au discours de la révolution. Le véritable discours, celui qui prédomine chez Hubert Aquin, est celui de l'indépendance du Québec. Tous ces écrits n'offrent qu'un seul fil commun : celui du nationalisme québécois.

Dans une autre optique, il importe de prendre en compte la personnalité d'Hubert Aquin lorsqu'il écrit ses œuvres avec un tel vocabulaire et avec des propos aussi radicaux. Tout au long de sa vie, Aquin cherchera à éviter le métier d'écrivain, « destin maudit » comme il le décrira lors d'une entrevue. Il refuse de voir ses œuvres confinées à de l'art, à la littérature. Il cherche donc à leur donner une dimension politique. Ainsi, Aquin utilise une rhétorique qui provoque et qui cherche à mobiliser les gens. De même, tous les appels qu'il lance à la population ou toutes les questions et contradictions qu'il offre dans ses écrits servent à faire réagir les gens. En faisant ainsi, il cherche à laisser un souvenir et donner une « essence politique » à ses textes, plutôt qu'une simple « existence ». Ses pensées existentialistes influencent donc sa vision de l'écriture, puisqu'il refuse de donner existence à des textes sans utilité. La pensée et la mentalité d'Aquin se retrouvent également dans ses écrits. Toujours à la recherche de lui-même, il pense pouvoir donner un sens à ses œuvres et à sa vie par ses écrits. Or, la disparition du R.I.N. et le cheminement du nationalisme québécois vers la modération affecteront grandement Aquin. Ce dernier souhaite ardemment créer une société correspondant aux idéaux socialistes. Cependant, le ralliement du R.I.N. au Parti québécois évacuera le socialisme du discours nationaliste québécois, au grand dam d'Aquin. Par ailleurs, Aquin est un être avec un degré de violence intérieure élevée. Par ses textes, il cherche donc à exprimer toute sa violence intérieure, en lui donnant cependant une orientation politique. Il faut ainsi dissocier la violence personnelle d'Aquin et celle de ses écrits politiques. De plus, tel que mentionné précédemment, le désir de laisser œuvre compte beaucoup aussi dans la propension d'Aquin à écrire violemment. En cherchant à changer radicalement la société dans laquelle il vit et en tentant d'influencer le comportement par l'utilisation de la provocation, Hubert Aquin cherche à livrer un héritage, un souvenir à la société, en particulier un héritage politique, qui a une « essence ». Cette obsession de laisser une œuvre deviendra de plus en plus importante au fil de sa vie. D'ailleurs, il se suicidera en1977, prétendant « que son œuvre est complète ». Il convient donc de dire qu'Aquin n'est qu'un écrivain dont la violence intérieure est exprimée par le biais de sa littérature et dont la radicalité permet de laisser des œuvres avec un but, une essence.

Ainsi, Aquin n'est pas le révolutionnaire socialiste tel qu'il est parfois perçu. Par l'inconsistance de ses discours, par le besoin d'exprimer une violence et de faire œuvre, il en vient à adopter et présenter des textes dont les phrases sont radicales. Néanmoins, Aquin est un nationaliste, dont la radicalité donne un mordant à ses textes. Bien que la direction dans laquelle se dirigeait le nationalisme québécois l'ait déplu et qu'il ait été assez critique envers le Parti québécois, il convient de rappeler que les écrits d'Aquin sur la nationalisme québécois sont de véritables perles, comme La fatigue culturelle du Canada français, texte que Pierre Bourgault a d'ailleurs qualifié de « plus beau texte sur le nationalisme canadien-français ».

Références

AQUIN, Hubert, « La fatigue culturelle du Canada français », Cité Libre, 1962

AQUIN, Hubert, « Profession : écrivain », Parti Pris,

AQUIN, Hubert, Blocs erratiques, Montréal, Éditions Quinze, 1977

AQUIN Hubert, Point de fuite, Montréal, Le cercle du livre de France, 1971

BEAUDRY, Jacques, Aquin : la course contre la vie, Montréal, Éditions Hurtubise HMH, 2006

BEAUDRY, Jacques, La fatigue d'être, Montréal, Éditions Hurtubise HMH, 2008

DE LA FONTAINE, Gilles, Hubert Aquin et le Québec, Montréal, Éditions Parti Pris, 1977

GODBOUT, Jacques, Deux épisodes dans la vie d'Hubert Aquin, 1979, 56 min 50 secs.

MAJOR, Robert, Parti pris : idéologies et littérature, LaSalle, Éditions Hurtubise HMH, Ltée, 1979

SMART, Patricia, Hubert Aquin, agent double, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1973

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