Formation intellectuelle des jeunes officiers : rôles des langues étrangères et de la diversité culturelle

The following article has been provided by external source. The Government of Canada and Royal Military College Saint-Jean are not responsible for the accuracy, reliability or currency of the information supplied by external sources. Users wishing to rely upon this information should consult directly with the source of the information. Content provided by external sources is not subject to official languages, privacy and accessibility requirements.

Mohamed Adel KallalaNote de bas de page * - Samir LaabidiNote de bas de page **

Le penseur américain, Samuel Huntington, Professeur à Havard, a publié dans la revue Foreign Affair, en 1993, un article qui a fait date dans l'histoire des idées : il s'agit de "The Clash of Civilizations?". Très controversé depuis sa parution, cet article a suscité de nombreux débats. Cherchant à approfondir sa réflexion, Huntington a édité en 1996 son livre The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order (Traduit en 1997 par Le choc des civilisations et la refondation de l'ordre mondial. éd. Odile Jacob).

Si l'on admet avec Huntington que le XXIe siècle est celui des conflits d'ordre civilisationnel, la question qui se pose alors est : Que faire pour amortir ce choc et lutter contre un égocentrisme culturel aux conséquences néfastes, notamment dans le milieu militaire ?

La solution consiste, entre autres, à promouvoir l'enseignement non seulement des langues étrangères (LE), mais aussi des cultures diverses. Dans ce sillage, limiter l'enseignement d'une langue étrangère à l'acquisition d'un outil de communication minimal, c'est occulter le rôle que la culture devrait jouer dans la formation de la personnalité et dans la connaissance des comportements humains, ce qui est susceptible de contribuer à réduire les préjugés et à promouvoir la tolérance.

L’objectif de cette contribution est de convaincre de l’impérieuse nécessité pour toute institution militaire de bâtir la formation intellectuelle des jeunes officiers sur ce foisonnement de langues et de cultures, d'autant plus qu'aujourd'hui les évolutions géopolitiques mondiales sont extrêmement rapides. Pour ce, nous nous attarderons, en premier lieu, sur les enjeux linguistiques, culturels et sociaux. Nous ferons en second lieu l'état des lieux de l'enseignement des langues étrangères et des cultures aux jeunes officiers tunisiens. Nous finirons, en dernier lieu, par proposer quelques suggestions à même de rendre l'enseignement supérieur militaire plus profitable, d'un point de vue langagier et culturel.

I- Les enjeux linguistiques, culturels et sociaux

En nous imprégnant de ce qui est proposé par G. Simmard (1997), nous pouvons avancer que, même dans le cadre de la formation des jeunes officiers en matière de langues étrangères, nous arrivons à différencier trois types d'enjeux: linguistiques, culturels et sociaux.

1- Les enjeux linguistiques

Les degrés de compétence langagière sont nombreux et varient d'un locuteur à l'autre. De façon générale, on peut les ramener à trois : le "niveau seuil", le "niveau d'autonomie", qui assure la pleine maîtrise de la langue dans les diverses situations de la vie personnelle et sociale, et enfin, le "niveau conceptuel", où la langue devient un objet de réflexion et d'étude. Les deux premiers niveaux concernent directement la formation des jeunes officiers.

A- Le niveau seuil : le minimum vital

L'alphabétisation en LE permet aux jeunes officiers comme à tous les autres citoyens de pouvoir lire, écrire et communiquer à l'oral dans d'autres langues que la langue maternelle et dans d'autres contextes relevant d'autres pays où ils sont appelés à travailler ou à effectuer des séjours (à titre d'exemple : pouvoir consulter un horaire de bus, d'avion, de TGV, suivre les consignes d'utilisation d'un appareil, émettre et recevoir des messages, des courriels…).

Pour ce seul volet qui représente le niveau dit aussi élémentaire, les besoins sont immenses, notamment à l'aube du troisième millénaire où le recours aux technologies de l'information et de la communication (TIC) et l'acquisition des LE sont deux conditions nécessaires dans la réussite académique et professionnelle. C'est pourquoi notre système éducatif en général et les programmes et directives ayant trait à l'enseignement supérieur militaire, en particulier, doivent améliorer la formation en LE et aider les jeunes officiers qui accusent des retards en cette matière. Cela pourrait constituer une aide précieuse à ces jeunes qui cherchent à avoir un diplôme scientifique et à être promus dans leur parcours aux différents grades militaires.

B- Niveau d'autonomie

Le niveau seuil d'acquisition des LE s'avère une condition nécessaire mais non suffisante. Les directions de l'enseignement supérieur militaire seraient appelées à réformer les systèmes d'enseignement militaire dans le but d'accorder plus d'importance à l'enseignement/apprentissage (E/A) des LE. Car là où l'alphabétisation en LE permet seulement de communiquer et d'agir dans les situations ordinaires; la bonne maîtrise des LE (le niveau d'autonomie) va garantir au jeune officier l'épanouissement et l'émancipation et surtout la possibilité de participer activement à la vie sociale et économique de son pays en tant que citoyen responsable.

Nous voulons dire par "bonne maîtrise" cette aisance que le jeune officier se doit d'avoir dans l'acquisition des LE, laquelle aisance stipule le respect obligatoire de la norme grammaticale propre à chaque langue. D'autant plus que ce jeune officier est appelé à un moment donné de son parcours à communiquer avec des officiers étrangers, dans des situations langagières de communication officielle, par le scriptural ou via les interactions verbales, et c'est là aussi que la clarté de l'expression, la capacité d'argumentation, la défense des opinions… nécessitent la maîtrise des dimensions les plus variées et les plus complexes d'une LE, principalement sa syntaxe, sa sémantique, sa pragmatique… Sans oublier pour autant l'aspect utilitaire de ces LE qui servent de support pour toutes les autres matières scientifiques (maths, physique…) et les humanités (psychologie, sociologie, philosophie, histoire militaire…).

La pleine maîtrise des LE est à même d'aider le jeune officier à devenir décideur et à mieux appréhender le déroulement et la complexité des événements pour une meilleure programmation des tactiques et des manœuvres se rapportant à son métier, et a fortiori pour mieux participer à la protection et à l'essor de son pays. Aussi, une compétence plus poussée en LE lui permet-elle d'entrer en contact avec des interlocuteurs plus variés, à mieux avoir des capacités intellectuelles comme le raisonnement et le sens critique et à soutenir un discours dont l'expression est plus élaborée.

Enfin, c'est cette instrumentalisation des LE qui nous intéresse dans le contexte où se meut un jeune officier. Naturellement, un autre aspect est à prendre en compte qui caractérise une LE : c'est l'aspect métalinguistique. Les connaissances historiques sur la LE en question ainsi que sur les facteurs géopolitiques et socioculturels, qui influent sur la vie et sur l'évolution des langues, sont de nature à aider le jeune officier à mieux comprendre les différents rapports entre les communautés linguistiques dans le monde. Cette remarque nous conduit à entamer un autre type de facteurs déterminants dans la formation en LE : les enjeux culturels.

2- Les enjeux culturels

Si l’on se fie au sociologue français André THIEBLEMONT, spécialiste du milieu militaire, (2005, p. 15) :

« L’usage profus de la notion de culture par les militaires est relativement récent : son émergence date des années 1980. Jusque-là, le fait culturel militaire était pratiquement ignoré des militaires comme des sciences de l’homme. »

Ainsi, l'étude de la culture doit faire partie intégrante de l'enseignement des langues aux jeunes officiers, vu les liens entre langue et culture. Les références culturelles sont contenues dans les textes et documents étudiés en relation avec le mode de vie étranger.

Pour certains chercheurs, la concision et la clarté de la pensée d'un peuple est déterminée essentiellement par la langue qu'il parle. L'hypothèse de Sapir-Whorf (cf. Simard, 1997) stipule que la conduite d'un individu aussi bien que sa pensée sont tributaires de la structure de la langue qu'il utilise quotidiennement. Ainsi, si la communication entre les peuples, locuteurs et êtres de langues différentes échoue, c'est essentiellement parce que ces peuples ne catégorisent pas le réel de la même manière.

La connaissance des comportements humains est susceptible de contribuer à réduire les préjugés et à promouvoir la tolérance. Les hommes ont partout tendance à croire que leur propre culture est unique en son genre, jusqu'à ce qu'ils en rencontrent d'autres. Le rendez-vous avec cette différence peut dans un premier temps être source d'intolérance et de violence.

Dans l'E/A d'une LE, le professeur est appelé à enseigner la culture dans sa pluralité, la culture qui recouvre le domaine idéologique (valeurs, croyances), intellectuel, artistique et social (mode de vie, interactions verbales) ; qui peut être subdivisée en culture subjective (psychologie, systèmes de valeurs, schémas de pensées) et en culture objective (institutions, système économique, organisation politique…). Mais, décrire les comportements, les artefacts, les institutions des pays concernés n'est pas suffisant. C'est en favorisant chez les apprenants (les jeunes officiers dans notre cas) la prise de conscience du fonctionnement de leur propre culture et du fonctionnement des autres cultures que l'enseignant de langue peut avoir un rôle à jouer dans la construction d'un monde moins violent et plus tolérant.

Nous pensons que cette ouverture sur une autre culture au pluriel pourra tenir compte de quatre paramètres dont les sciences humaines et sociales tiennent compte, dans l’analyse des interactions humaines (cf. Professeur Ioannis LOUCAS, 2008, p. 15-16) :

  1. Proxémique : l’usage de l’espace (référence à la géographie) ;
  2. Kinésique : posture et mouvement (référence à la politique) ;
  3. Haptique : sensitivité physique (référence à la culture) ;
  4. Chronémique : usage du temps (référence à l’histoire).

A- Le niveau proxémique (l’aspect géographique)

Au niveau du rapport à l'espace, les militaires sont appelés à se forger une nouvelle force de sociabilité et de solidarité. Par exemple, ce qui unit les pays de la méditerranée, à travers la construction d’un monde méditerranéen prospère et pour la lutte contre les menaces asymétriques telles que le terrorisme, l’immigration illégale, le trafic des drogues et des armes…

Par ailleurs, certains militaires sont appelés à exercer dans d’autres pays, dans d’autres géographies, comme il en est des missions de l’ONU, ou en tant qu’attaché militaire…

B- Le niveau kinésique (le plan politique)

A ce propos, Louis GAUTIER (2006) dit clairement :

« Les mœurs et les mentalités évoluent. Le soldat doit être considéré comme un citoyen comme les autres. Aujourd’hui, les militaires, en ce qui concerne leurs droits professionnels et politiques, sont placés dans un entre deux à la fois hypocrite et désobligeant. […] Accorder une liberté n’empêche pas son contrôle ni la répression de son abus. La sanction individuelle de la faute paraît mieux appropriée, en droit, mais aussi en politique, que le moindre d’un stigmate collectif qui semble désigner encore les militaires comme des factieux en puissance ».

Autrement dit, pourquoi ne pas réfléchir sur la façon dont les militaires participent aux débats publics (sur l’éducation, l’éducation à la citoyenneté…), pour éviter qu’une partie de la société de chaque pays ne soit à l’écart des cercles de réflexion et d’influence (les militaires tunisiens sont concernés par les élections municipales de 2017).

Sur un autre plan, la Tunisie, à titre d’exemple, ne fait pas partie du nucléus stratégique de l’OTAN ou de l’Union Européenne (UE), et pourtant, elle est concernée du moins par deux organismes de l’OTAN : le « Partenariat pour la Paix » et « le Dialogue méditerranéen de l’OTAN » et aussi le programme de l’UE « Politique de voisinage » qui englobe entre autres, les pays du Maghreb.

C- Le niveau haptique (culture militaire)

Sur le plan culturel, proprement dit, il faut reconnaitre que quand nous évoquons la culture militaire comme « instrument de sélection et de reconnaissance » et que l’on retrouve ainsi le principe d’identité culturelle (qui définit un militaire), cette logique ne doit pas être poussée à l’extrême sinon elle peut faire passer de l’exclusivité à l’exclusion. Il serait plus adéquat de tenir compte des aspects suivants :

  • Le droit et l’obligation de tenir compte, dans la formation, du pluri ou multiculturalisme.
  • Reconnaitre que la culture de l’intelligence est une arme.
  • L’émergence des droits de l’homme comme un impératif.
  • Le pouvoir omniprésent de l’information, où les militaires ne peuvent échapper ni au regard critique de leurs concitoyens, ni à l’opinion publique nationale et internationale.

À ce propos, l’initiative est avant tout individuelle. L’officier a le devoir impérieux de se cultiver. C’est l’obligation de s’ouvrir sur les exigences de la société contemporaine, qui est une société postmoderne, caractérisée essentiellement par la montée de la doctrine de leadership.

D- Le niveau chronémique (par référence à l’Histoire)

Nous tenons à rappeler l’intérêt que revêt l’histoire en général et l’histoire militaire en particulier dans la vie du militaire; surtout que, comme l’explique bien Luc DE VOSNote de bas de page 1 (2006, p. 7) :

« L’histoire militaire ne s’attache en effet plus uniquement à l’histoire des Guerres, qui restent néanmoins des césures importantes dans l’histoire des sociétés, qu’au rapport entre ces sociétés et l’institution militaire ».

Une telle idée est confirmée par l’historien tunisien Mohamed Taher MANSOURI (2008, p. 192), pour qui :

« on oublie souvent qu’à travers la guerre, les sociétés se sont découvertes mutuellement, se construisant des images réciproques […] Parfois, plusieurs formes de solidarité s’engagent donnant naissance à des sociétés de frontières, faites de mélanges et d’interférences, d’interactions et d’intégrations. »

A titre d’exemple, de 886 à 912, la confrontation entre Byzance et le monde musulman diminue d’ardeur et aucune bataille véritable n’a marqué les annales de l’histoire.

3- Les enjeux sociaux

L'enseignement des LE ne doit pas être caractérisé par une technicité aveugle : le langage n'est pas une forme vide, c'est le principal canal de communication par lequel les êtres humains entrent en relation les uns avec les autres. Il est constamment utilisé dans les débats, les négociations, les conflits à travers lesquels les groupes sociaux tentent de promouvoir leurs points de vue et de défendre leurs intérêts. Généralement, chacune des LE est un lieu de réflexion sociale. Chaque discours a une dimension sociopolitique et véhicule des idées et des opinions ancrées dans la société.

Un jeune officier conscient et imbibé de ces aspects culturels ne peut, en tant qu'acteur social, que constituer un facilitateur d'interculturel, puisque c'est en lui et à travers lui que se joue la rencontre de cultures. Il est siège de ces cultures plurielles : la sienne et toutes les autres cultures qu'il a eu à acquérir dans les milieux de formation guidée (institutions de l'enseignement supérieur militaire…) ou hors de ces milieux (de façon informelle). Il parvient ainsi à reconnaitre et à accepter le pluralisme culturel comme une réalité de société ; il contribue à l'instauration d'une société d'égalité, de droit et d'équité.

L'acquisition des LE est aussi de nature à permettre de cultiver l'esprit critique vis-à-vis des autres et de soi-même. L'analyse des stratégies langagières de persuasion est susceptible de dévoiler les manœuvres et les préjugés dont il faut se méfier, et rend aussi les jeunes officiers plus vigilants à l'égard des discours politiques et médiatiques. Parmi les autres aspects positifs des langues étrangères le fait de participer à l'éthique de la communication: avoir la possibilité de développer ses idées selon un ordre dans la prise de paroles tout en écoutant attentivement ce que disent les autres, et tout en respectant les autres variétés langagières.

II-L'enseignement des langues étrangères aux jeunes officiers tunisiens : un état des lieux

L'acquisition des LE est aussi de nature à permettre de cultiver l'esprit critique vis-à-vis des autres et de soi-même. L'analyse des stratégies langagières de persuasion est susceptible de dévoiler les manœuvres et les préjugés dont il faut se méfier, et rend aussi les jeunes officiers plus vigilants à l'égard des discours politiques et médiatiques. Parmi les autres aspects positifs des langues étrangères le fait de participer à l'éthique de la communication: avoir la possibilité de développer ses idées selon un ordre dans la prise de paroles tout en écoutant attentivement ce que disent les autres, et tout en respectant les autres variétés langagières.

Volume horaire alloué à chaque LE
Niveau Volume Horaire du français Volume horaire d'anglais Volume horaire global Pourcentage
CYCLE INGENIEURS
1ère Année. Préparatoire des études d'ingénieurs 60 60 120 /830
(14.45 %)
2ème Année. Préparatoire des études d'ingénieurs 60 60 120 /990
(12.12 %)
1ère Année. Ingénieur 40 72 112 /900
(12.44 %)
2ème Année. Ingénieur 40 64 104 /900
(11.55 %)
3ème Année. Ingénieur - 36 36 /450
(8 %)
CYCLE LICENCE-MASTER
1ère Année. Licence 42 42 84 /756
(11.11 %)
2ème Année. Licence 42 42 84 /756
(11.11 %)
3ème Année. Licence   42 42 /756
(5.55 %)
1ère Année. Master 21 21 42 /800
(5.25 %)
2ème Année. Master 21 21 42 /400
(10.5 %)

En tout, après 5 ans à l'Académie, l'élève-officier arrive à bénéficier d'un enseignement de français de 200 H et un enseignement d'anglais de 292 H, soit au total 492 H de langues étrangères. Ce qui représente en moyenne 12 % du volume global de sa formation de base.

Il est toujours question de LE et de cultures même dans les établissements de l'enseignement supérieur militaire destinés à la formation continue des officiers (l’Ecole d’Etat-Major et l’Ecole Supérieure de Guerre), qui ont pour mission de former les officiers des Forces Armées en vue de les préparer à occuper des responsabilités au sein des États-Majors et de commandement. Le tableau suivant nous donne une idée sur les volumes horaires alloués aux LE dans ces institutions :

Volumes horaires alloués aux LE dans ces institutions
Institution Matière Volume horaire
Ecole d'Etat-Major (EEM) Techniques d'expression 45 H
Médias et communication 14 H
Ecole Supérieure de Guerre (ESG) Expression écrite et orale 29 H
Médias et communication 32 H
Anglais 30 H

Dans la construction des curriculums, nous partons des prérequis de l'élève-officier. De fait, les années de l’enseignement secondaire (de 12 à 19 ans) sont de nature à permettre aux élèves de se familiariser avec les aspects saillants de la civilisation française, anglaise et américaine ; de comprendre un texte écrit et un discours oral ; de produire un texte cohérent à l'oral ou par écrit…

Les objectifs que nous nous sommes assigné à l'Académie militaire (Armée de Terre), à l'Académie navale (Armée de mer) ou à l'Ecole de l'Aviation (Armée de l'Air) consistent essentiellement à amener les élèves-officiers à prendre la parole, notamment en public, et à s'exprimer correctement, à bien articuler et à bien adapter le registre de langue à la situation de communication.

Pour ce, nous avons mis l'accent – au niveau du contenu dispensé – sur la maîtrise des règles de la langue (française et anglaise) et sur la maîtrise des mécanismes de la communication linguistique (schéma de la communication notamment celui de Roman Jakobson, dynamique de l'information…) mais aussi les mécanismes de la communication non linguistique (la kinésique, les symboles, les signaux, les indices… qui varient selon les cultures et les civilisations). De façon explicite, pour atteindre ces objectifs, les professeurs de langues sont amenés à travailler avec les élèves-officiers sur la phonétique, la phonologie, la phonétique corrective, la prononciation…dans des laboratoires de langues spécialisés, à travers les multimédias, via les documents authentiques puisés dans Internet ou fournis par les services pédagogiques.

Et tout en permettant aux jeunes officiers d'appréhender les spécificités des cultures étrangères pour mieux les comparer à la culture locale et pour mieux se situer par rapport aux Autres dans le Monde, les professeurs de langue essaient d'aider les élèves-officiers à acquérir des compétences diverses telles que le fait de :

  • Exprimer leurs intérêts, leurs volontés ;
  • Témoigner, rapporter une conversation ;
  • Proposer, donner des conseils, porter un jugement, demander des explications…en langues étrangères (principalement en français et en anglais).

Nous sommes en train d'essayer de faire de l'enseignement de la culture un instrument de développement de la personne, un moyen pour conduire à la découverte de la culture de l'autre, à la compréhension de sa différence et donc au développement de l'esprit de tolérance.

Le lien entre culture et communication est clairement établi, et il convient de ce fait que les élèves-officiers acquièrent une capacité d'interagir de manière efficace dans un environnement multiculturel, ce qui conduit à les sensibiliser au fait que la connaissance des règles de fonctionnement de la langue n'est pas suffisante pour assurer la compétence de communication et que cette dernière suppose des compétences socioculturelles et interculturelles. À défaut, le locuteur aura tendance à utiliser les références de sa propre culture pour analyser le message produit par son interlocuteur.

Nous avons proposé un parcours qui permette aux élèves d'être capables de reconnaître et d'analyser les différences culturelles, de développer le recul nécessaire à la compréhension de l'autre, et de mettre en œuvre des capacités linguistiques et comportementales adaptées au contexte culturel du domaine dans lequel ils comptent interagir.

Les langues étrangères, comme les langues maternelles, ont chacune sa valeur esthétique, une portée idéologique à travers les critiques sociales et la réflexion morale ou philosophique des écrivains et penseurs qui produisent dans ces langues. L'étude des textes littéraires, philosophiques et les textes d'ordre civilisationnel est considérée comme la source fondamentale d'enrichissement culturel. Les débats et réflexions des dernières années, à l'échelle nationale et au sein des ministères de tutelle, quant à l'enseignement des langues étrangères, ont confirmé la contribution de l'étude de la littérature et de la civilisation à la formation générale des jeunes. Les jeunes officiers ne dérogent pas à cette règle.

D'un point de vue cognitif, toutes ces matières apportent aux jeunes informations et connaissances sur les œuvres, les écrivains, les époques, les us et coutumes de ces peuples en question. Sur ce plan, que le jeune officier soit d'origine pauvre ou riche, il arrive toujours à s'initier à la culture de l'autre et à entrer en contact avec l'autre. La culture revêt ainsi de la valeur, car elle acquiert une mission de démocratisation.

III- Perspectives et suggestions

Dans la conception des programmes portant sur la formation des jeunes officiers et principalement en matière de LE, on est censé dépasser l'utilitarisme étroit pour promouvoir un véritable humanisme en procédant d'une vision globale de la personne humaine et de sa participation à la collectivité.

Pour ce, la vision stratégique au Ministère de la Défense en Tunisie met l'enseignement des langues étrangères (notamment le français et l'anglais) comme levier de changement (enseignement généralisé et obligatoire).

Parmi les autres leviers : le fait de faire des institutions de formation (académies, écoles préparatoires militaires…) un lieu où prévalent la formation de l'esprit critique et de la stimulation de l'intelligence. Comme en témoigne cette réforme en cours (2016/2017) qui porte sur les curriculums au niveau des cinq années de Master en sciences militaires où l'on a introduit des Modules comme : l'Education à la citoyenneté, l'éveil critique…et l'on a aussi pensé au renforcement de l'enseignement de la matière de droit et notamment le droit international humanitaire (DIH).

La finalité poursuivie à cet égard est de permettre à nos jeunes officiers, à l'issue de leur formation académique, de maîtriser non seulement la langue maternelle (l'arabe dans notre cas) mais aussi et surtout deux langues étrangères au moins (français et anglais). Parmi les bienfondés de ce choix stratégique : contribuer à l'intégration de ces jeunes officiers dans leur environnement militaire et dans leur environnement socio-économique. De ce point de vue, il était impératif dans la conception de nos programmes de revenir sur la nécessaire adéquation des enseignements du français et de l'anglais et des enseignements en français et en anglais aux besoins de développement de notre pays.

Dans ce sillage, on s'inscrit davantage dans un cadre précis : la fonctionnalisation de l'enseignement des langues et la professionnalisation de la formation. Mais nous restons conscients du fait que cette mutation du système universitaire militaire en Tunisie ne signifie pas une formation utilitaire qui se fait aux dépens de la formation humaniste, ne signifie pas non plus les savoirs techniques et pratiques (véhiculés par ces langues indiquées) aux dépens des savoirs culturels… Cette réforme ou celles qui ont précédé (2004, 2008, 2013) ne signifient pas qu'on est sorti du monde des valeurs culturelles et de la culture comme valeur. C'est même le contraire qui est privilégié : permettre aux jeunes officiers d'être ancrés dans une culture plurielle, qui va du local à l'universel : culture tunisienne ouverte sur la culture méditerranéenne, africaine, arabo-musulmane, européenne et mondiale.

Dans le contexte actuel qui connait la montée du terrorisme, de la violence, de l'intégrisme et pour mettre notre armée et nos officiers à l'abri de ces fléaux, la solution réside, entre autres, dans l'enseignement des langues et des cultures. Les académies militaires et l'école, en général, y sont pour quelque chose. "La responsabilité de la guerre dans le monde incombe moins à ceux qui la font qu'à ceux qui ne font rien pour l'empêcher." (cf. Séoud, 2013, p. 9). On peut en dire autant pour l'ignorance, l'inculture, le dogmatisme, l'extrémisme, l'unilatéralisme…

Parmi les autres perspectives :

  • Consolider la formation des enseignants, en les aidant à mieux questionner les savoirs de référence qui relèvent du champ de l'interculturel : sur quels critères sélectionner les textes-supports et les documents authentiques qui servent de corpus ? Comment les exploiter en classe ? Comment faire des TIC un outil et un moyen mnémotechnique qui facilite l'appréhension de la culture de l'autre ?
  • Penser à une formation diplômante en LE, c'est-à-dire la certification, tel qu'il est préconisé par le CECRL (Cadre européen commun de références en Langues) pour le DELF (diplôme d'étude en langue française) et le DALF (diplôme approfondi de langue française). Il en est de même pour le TOEFL (Test of English as a Foreign Language).
  • Innover les méthodes pédagogiques à travers l'intégration du Portfolio des langues dans la formation des jeunes officiers. Cet outil met en évidence de façon positive les acquis de l'apprenant à un point donné de son parcours. Un tel document prend toute sa valeur dans le cas de la mobilité.

Conclusion

Notre réflexion dans cette contribution a porté sur la question du pourquoi de l'enseignement des LE et de la diversité culturelle aux jeunes officiers et le rôle de cet enseignement dans leur formation intellectuelle, car toute action éducative découle des intentions qui la sous-tendent. D'où la nécessité qui était d'aborder les différents enjeux de bâtir la formation intellectuelle des jeunes officiers sur les LE et la diversité culturelle, en tenant compte essentiellement des dimensions linguistiques, culturelles et sociales.

Et après la présentation de la pratique enseignante en matière de LE et de cultures dans le contexte militaire tunisien, nous avons jugé utile de suggérer d'autres pistes de réflexion et d'attitudes à adopter en vue d'améliorer l'enseignement et l'acquisition des LE. Nous restons convaincu que, notamment, dans les pays en développement, l'acquisition des LE est un rempart contre la marginalisation : tant nos jeunes officiers maîtrisent davantage les LE et les cultures étrangères, tant ils sortent du local et du national pour tendre vers l'international et pouvoir entrer en contact avec les Armées des pays développés et prendre part aux différentes activités militaires et aux différents ateliers stratégiques, à l'échelle internationale, sans complexe d'infériorité aucun.

BIBLIOGRAPHIE

DE VOS, Luc, 2006, Président de la Commission Internationale d’Histoire Militaire, Discours inaugural lors du Colloque international d’histoire militaire Sociabilité et solidarité en Milieu militaire méditerranéen, tenu à Tunis les 20, 21 et 22 juin 2006, publié en 2008.

GAUTIER, Louis, 2006, Face à la guerre, éd La Table ronde.

HUNTINGTON, Samuel,1996, Le choc des civilisations et la refondation de l'ordre mondial, éd. Odile Jacob.

LOUCAS, Ioannis, 2008, « Sociabilité et solidarité dans le milieu militaire », dans Sociabilité et solidarité en milieu militaire méditerranéen, Publication du Ministère de la Défense, Direction de l’Action Sociale de l’Information et de la Culture, p. 15-22.

MANSOURI, Mohamed Taher, 2008, « La circulation du savoir militaire, une forme de solidarité entre Belligérants : le cas de Byzance et des Etats musulmans » dans Sociabilité et solidarité en milieu militaire méditerranéen, Publication du Ministère de la Défense, Direction de l’Action Sociale de l’Information et de la Culture, p. 192-202.

Programmes officiels en Tunisie, des Académies militaires, de l'Ecole d'Etat-Major, de l'Ecole Supérieure de Guerre.

SEOUD, A. 2013, "Allocution d'ouverture", dans Ecole, esprit critique et émancipation par le savoir, édition CIPA, Mons, Belgique, p. 7-10.

SIMARD, Claude, 1997, Eléments de didactique du français, langue première, éd. Du renouveau pédagogique Inc, Canada.

THIEBLEMONT, André, 2005, Sociologie du milieu militaire, les conséquences de la professionnalisation sur les armées et l’identité militaire, éd. l’Harmattan, Paris, France.

Date modified: