Special Edition Number 1 - The Profession of Arms

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Les fusillés de la Grande Guerre : la question de la réhabilitation

Élève-officier Jessie Tremblay 26501

Je réfléchirai ici sur un phénomène tragique qui a touché tous les pays belligérants de la Grande Guerre, celui de l'exécution de soldats au sein de leur propre armée. Je vais explorer la question en tentant de déterminer si ces soldats fusillés devraient être oui ou non réhabilités par leur pays. Avant de continuer, il est important de définir un terme : la réhabilitation est l'acte juridique qui consiste en l'annulation de la peine prononcée précédemment et en la suppression totale des accusations portées pendant le procès. Le réhabilité retrouve alors le statut qu'il possédait avant que la peine soit prononcée1.Note de bas de page 1

Il est surprenant de voir à quel point la figure du fusillé a opéré un retour en force dans l'actualité de nos jours. Les productions cinématographiques, la littérature et les créations musicales, en mettant l'accent sur le sort de l'individu et sur les conditions d'existence du soldat, ont fait de la figure du fusillé une victime de la justice militaire. Toutefois, il est important de ne pas se méprendre : la situation en temps de guerre n'était assurément pas la même qu'aujourd'hui et une conclusion hâtive erronée concernant les droits des victimes pourrait résulter d'une fausse interprétation des évènements survenus.

J'invoquerai ici plus particulièrement les cas français et canadiens, mais il convient d'indiquer que la France et le Canada sont loin d'être les seuls pays à avoir imposé des peines de mort à leurs propres soldats : la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie et les États-Unis comptent aussi parmi ces pays. L'Australie est le seul pays qui puisse se vanter d'avoir interdit formellement l'exécution de ses soldats au cours de la Grande Guerre. On compte pour le Canada vingt-trois fusillés pour six cents cinquante mille volontaires envoyés au front et soixante-six mille morts au combat. Pour ce qui est de la France, elle a envoyé au front cinq millions cinq cent mille hommes, elle en a perdu un million trois cent mille au combat et elle en a fait fusiller six cents. Les motifs des condamnations étaient plutôt variés : mutilations volontaires, abandons de poste, désertions, refus d'obéissance, etcNote de bas de page 2.

Certains diront que les mutins et fusillés n'ont pas accompli leur devoir et qu'ils ont mis la communauté nationale en péril : c'est vrai. En ne participant pas à l'effort de guerre et en faisant preuve, pour certains, de lâcheté, ils ont abandonné leurs alliés en risquant ainsi la défaite et le déshonneur de leur patrie. Les autres, par le refus d'obéissance, ont enfreint le code de discipline militaire qui indiquait clairement que contrevenir aux ordres était passible de la peine de mort. Ces condamnés ont donc bien été des victimes, mais des victimes de la justice : une sentence appropriée pour une faute commise. D'ailleurs, je soutiens l'idée que les autorités militaires ne recherchaient seulement qu'une meilleure discipline en condamnant ainsi des hommes à la mort, dont certains ne devaient que servir d'exemples afin d'éviter la contagion de l'indiscipline chez les soldats (on nomme ces derniers les « fusillés pour l'exemple »).

Ainsi, je n'apporte rien de nouveau si je dis que la discipline dans une armée est une valeur militaire très importante et nécessaire à l'efficacité des troupes sur le terrain. L'exécution des ordres des supérieurs, l'utilisation de l'équipement approprié, l'organisation du temps et l'application rigoureuse du règlement sont tous des exemples de discipline militaire. Cette discipline n'est pas là seulement pour le bien-paraître, elle est là par nécessité et c'est elle qui fait la force des armées; Charles de Gaulle le dit aussi : « Ordre et discipline font la force des armées »Note de bas de page 3. De ce fait découle l'utilité d'une justice répressive et de la fermeté du commandement quant à la répression des moindres petites défaillances du comportement de ses soldats.

Par ailleurs, compte tenu de ce qui précède, on peut dire que l'intérêt pour une discipline exemplaire et indispensable à la bonne conduite de la guerre devient incontestablement supérieur à celui de la vie d'un simple individu, et cela, l'état-major l'avait bien compris : il condamnait une très petite minorité de ses soldats au peloton d'exécution afin de faire d'eux des exemples qui empêcheraient la propagation des infractions au code de la justice militaire. D'un autre côté, plusieurs militaires du rang affirmaient qu'en réalité, les gradés n'accordaient que très peu de valeur à la vie humaine et que seuls les résultats comptaient. Les officiers, alors soumis à des contraintes de résultats, décidaient de la vie de leurs soldats comme s'ils déplaçaient de simples pions sur un jeu d'échec. Au bout du compte, qu'importe la façon de percevoir les motivations des officiers à punir si sévèrement, on dit des soldats qu'ils étaient déjà condamnés. Désobéir aux ordres, refuser de monter en ligne ne faisait que retarder leur mort le temps d'un procès. Les soldats n'avaient qu'à choisir leur forme de mort : champ de bataille ou peloton d'exécution.

Mais qu'en est-il de la morale derrière tout cela? Rappelons que la morale désigne l'ensemble de préceptes relatifs à la conduite appropriée de l'humain. Ces préceptes reposent sur deux valeurs fondamentales : le bien et le mal, ou, en d'autres mots, la justice et l'injusticeNote de bas de page 4. C'est sur ces deux valeurs que se basent les principes d'action appelés les devoirs de l'être humain, tant envers lui-même qu'envers les autres. Ces principes définissent ce qu'il faut faire et comment agir. Alors, est-il vraiment possible de justifier moralement une action comme la condamnation à mort pour l'exemple? La réponse est oui. Peut-être est-ce surprenant de pouvoir justifier une action comme donner la mort, mais c'est possible. En effet, d'un point de vue utilitariste, cette action est concevable. La devise de l'utilitarisme est « le plus grand bien pour le plus grand nombre »Note de bas de page 5. Donc, pour un utilitariste, sacrifier une minorité au profit de la majorité est la chose qu'il faut faire. L'exemple classique est celui des naufragés : dix personnes se retrouvent sur un radeau de fortune, si l'une d'elles saute à l'eau, le bateau flottera, sinon, il coulera, emportant avec lui tout le groupe. Ainsi, l'effet négatif qu'a le sacrifice de la personne qui a sauté est compensé par la vie des neuf autres, conséquence évidemment positive. Selon les circonstances, les utilitaristes utilisent le terme sauvetage au lieu de sacrifice, tout dépend du point de vue. Dans le cas qui nous intéresse, les fusillés pour l'exemple, on remarque qu'une minorité de soldats ont été fusillés par rapport au nombre de combattants envoyés au front pendant la Grande Guerre (moins de un pour cent en ce qui concerne le Canada et la France). Ces soldats fusillés ont servi d'exemples à leurs camarades en assurant une discipline dans les rangs. La majorité a donc profité de la discipline retrouvée. Il est important de préciser que si on peut justifier l'acte de fusiller pour l'exemple, cela ne le rend pas plus acceptable, même pour un utilitariste.

À l'inverse du conséquentialisme (dont fait partie la pensée utilitariste) qui évalue la morale d'une action à partir des conséquences de celle-ci, se trouve la déontologie, qui évalue la morale d'une action en fonction de sa conformité à des valeurs. Donc, dans notre cas, il faudrait se demander si tuer est une action justifiable par des valeurs, et non par des conséquences, comme cela a été fait précédemment. Pour ce faire, utilisons l'impératif catégorique qu'Emmanuel Kant énonce dans son œuvre Fondation de la métaphysique des mœurs (1785) : « Agis seulement d'après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle ». L'action de tuer devient dès lors impossible à justifier, car elle permettrait à quiconque de tuer peu importe les motivations derrière le geste. En outre, toujours du point de vue déontologique, fusiller quelqu'un dans le but de faire un exemple n'a pas de sens, car on doit faire les choses sans penser aux conséquences. L'état-major pensait que cela conserverait la discipline chez ses militaires, mais n'en était pas certain. Avec une approche déontologique, il faut se fier à la certitude : si on fusille un homme pour l'exemple, il sera assurément mort, mais cela n'aura peut-être pas servi à convaincre ses collègues de se tenir à carreau. Selon la déontologie, l'acte de fusiller pour l'exemple est considéré comme immoral. Peut-être l'état-major était-il dans le tort en considérant cette forme de punition ? Il suffit de regarder cela d'un peu plus près...

Au courant de la nuit du 10 au 11 septembre 1914, le médecin-major de 1ère classe Cathoire, chef du groupe de brancardiers du 15e corps, effectue un rapide examen de seize blessés aux mains ou aux avant-bras. Il reconnait six d'entre eux coupables de mutilations volontaires, deux cas suspects et huit blessés de guerre. Sur la seule base des certificats complétés par le médecin-major, le conseil de guerre de la 29e division d'infanterie, à Verdun, condamne six hommes au poteau d'exécutionNote de bas de page 6. En effet, les médecins, lorsqu'ils examinaient des blessés, étaient chargés d'informer le commandement s'ils suspectaient des mutilations volontaires, et ce, par la seule observation des blessures. Cela laissait largement place à l'erreur d'interprétation, ne croyez-vous pas? De surcroît, il n'est pas rare de lire, dans les témoignages de soldats recueillis après la Grande Guerre, que les procès étaient souvent expéditifs et que les accusés avaient rarement le droit à un représentant pour les défendre. On pourrait donc affirmer sans crainte que des injustices ont probablement été commises par la justice militaire, cette justice qui n'est pas comme la justice civile. La justice militaire est là pour être rapide, elle ne doit pas perdre de temps à faire de long procès, car il doit y avoir des résultats, comme discuté un peu plus haut.

Un autre cas spécifique discutable est celui des mutineries de 1917 en France. Durant six semaines environ, soixante-huit divisions sont atteintes et comportent en tout près de 10% de mutins qui refusent en général de monter en ligne dans le but d'éviter les massacres inutiles. Ces soldats veulent tout simplement éviter les assauts suicidaires. Cette forme de protestation s'apparente à la grève. Les militaires du rang revendiquent de meilleures conditions et des prises de décisions tenant compte de la vie humaine de la part des officiers. Ils ne remettent pas en cause les objectifs de la guerre, mais la façon de les atteindre. Ils veulent montrer que leur docilité a des limites. Pourtant, une trentaine de mutins furent fusillés pour ces mutineries. Ce bilan peut par contre être relativisé : un mutin sur mille a été fusillé. Néanmoins, était-ce la bonne chose à faire?

Qu'un homme soit fusillé ou mutin, il n'est pas mort au champ d'honneur. Ces hommes occupent une place plus ou moins importante dans les mémoires officielles et familiales. Mais le fusillé pour l'exemple reste perçu, pendant la guerre et surtout dans l'entre-deux-guerres, comme un innocent, arbitrairement désigné et fusillé. Il est adopté comme une figure de martyr, parce qu'injustement choisi pour être exécuté. Le fusillé pour l'exemple est donc passé en conseil de guerre seulement pour les effets de sa mort sur les troupes. Il n'a pas été jugé uniquement pour un acte répréhensible, il l'a été au profit de la cause commune. Pourtant, il n'avait peut-être rien fait de plus mal que les autres soldats de son peloton, mais il fallait un exemple. Voici ce qu'écrit Jean Quinault (un des six fusillés de Vingré) à sa femme la veille de son exécution : « [...] Moi, je suis dans les six et je ne suis pas plus coupable que les camarades, mais notre vie est sacrifiée pour les autres [...] »Note de bas de page 7.

Au regard de tout ce qui a été dit, je crois qu'il est juste d'affirmer qu'un fusillé ou un mutin reste un soldat de la Grande Guerre. Avant les évènements qui l'ont mené au conseil de guerre, il avait probablement efficacement et courageusement accompli le devoir qu'il avait envers sa patrie. Le mutin n'était possiblement qu'un visionnaire, un anticipateur des mouvements pacifistes; il avait raison avant tout le monde de vouloir mettre fin aux attaques suicidaires. Le fusillé pour l'exemple, quant à lui, est mort alors que la nature de la décision était utilitariste, ce qui s'explique par la situation de guerre qui régnait : elle relevait d'un calcul et rien de plus (en sacrifier un petit nombre pour en faire profiter un plus grand).

Donc, à une pensée de droite, en accord avec les châtiments imposés au cours de la Grande Guerre, bien que prête à admettre le caractère exceptionnel de ces jugements expéditifs et répressifs, s'oppose une pensée de gauche, qui voit en les soldats fusillés, voire assassinés, de simples victimes d'une parodie de justice, très éloignée de la démocratie à laquelle nous sommes habitués.

Enfin, si l'on va au-delà d'un débat qui remettrait en cause les pratiques des armées prises dans une guerre aussi particulière, il faut bien penser à réintégrer les fusillés dans la mémoire nationale afin de donner un sens à leur combat et à leur mort, car, bien malgré eux, parfois, les mutins ont contribué à l'amélioration des conditions des soldats et les fusillés pour l'exemple ont permis la conservation de la discipline dans les rangs (par la dissuasion). La réhabilitation relève donc du devoir de mémoire des nations canadiennes et françaises envers les soldats de la Première Guerre mondiale et leurs familles.

Note : Le Canada a réhabilité tous ses soldats fusillés en 2001, ce qui n'est pas le cas de la France encore aujourd'hui. La France traite en ce moment au cas par cas les dossiers afin d'y déceler les injustices évidentes.

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