La CAQ sur le respirateur artificiel : la pandémie fragilise la domination caquiste

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Guillaume Imbeault, Université de Montréal

En 2008, Éric Bélanger et Richard Nadeau faisaient paraître un livre sur le comportement électoral des Québécois. Dans ce livre, ils repéraient une transformation dans le paysage politique du Québec illustrée notamment par la montée des partis marginaux comme l’Action démocratique du Québec (ADQ) et Québec Solidaire (QS).

Le premier octobre 2018, la Coalition Avenir Québec (CAQ) en mettant fin à la domination des deux partis principaux au Québec depuis, au moins, les années 70 confirmait les intuitions de ces chercheurs. Comme le reconnaissait François Legault, lui-même, dans son discours victorieux : « Aujourd’hui, il y a beaucoup de Québécois qui ont mis de côté un débat qui nous a divisé depuis cinquante ans. ». Ce débat, c’était celui de la souveraineté du Québec. Le nom du parti souligne bien qu’il s’agit d’une coalition et François Legault ne manque pas de le rappeler dans son discours : « Aujourd’hui, il y a beaucoup de Québécois qui ont fait la démonstration que c’est possible de faire travailler ensemble des adversaires d’hier pour travailler pour le Québec de demain, ensemble ! ». Par exemple, François Legault est un ancien député et ministre du Parti québécois (PQ).

Qu’est-ce que cette élection signifiait pour le Québec et, en vue des élections d’octobre de cette année, quelle perspective peut-on avoir sur l’avenir du Québec ? Dans le texte suivant, nous tenterons de comprendre les implications ainsi que réfléchir aux perspectives au sujet de l’élection prochaine en prenant en considération les derniers sondages d’opinion.

Nous conclurons que Richard Nadeau et Éric Bélanger avaient raison de prétendre que le conservatisme moral de l’ADQ au sujet des accommodements raisonnables n'était pas suffisant pour contrer la perception selon laquelle le Parti Libéral du Québec (PLQ) était économiquement compétent lors de l’élection de décembre 2008. Cependant, l’innovation de la CAQ a été d’allier le conservatisme moral de l’ADQ, avec lequel elle a fusionnée en 2012, avec l’image d’un gouvernement de gestionnaires compétents. De plus, nous terminons en faisant remarquer que le seul parti présentement en situation de renverser la domination de la CAQ est le Parti conservateur du Québec (PCQ) et son chef Éric Duhaime. L’insatisfaction devant la gestion de la pandémie par le gouvernement caquiste joue à l’avantage du PCQ, selon les derniers sondages. Si la CAQ n’arrive pas à renverser cette perception dans la population, il est possible que le PCQ devienne la deuxième opposition au Québec et que le gouvernement caquiste perde sa majorité à l’Assemblée nationale.

L’Union nationale et la Coalition avenir Québec

Martin Lemay dans son livre À la défense de Maurice Duplessis a raison de faire remarquer que très peu de parti ou de politiciens ont réussi, au Québec, à ne pas être comparés d’une façon ou d’une autre à Maurice Duplessis. Celui-ci, et c’est peu dire, a considérablement marqué l’imaginaire de la société québécoise. La CAQ n’échappe pas à cette comparaison. Entre autres, parce que comme Duplessis s’est présenté comme le rempart des politiques centralisatrices du gouvernement fédéral du Parti Libéral de William Lyon Mackenzie King, la CAQ s’est présentée comme le parti proposant un Québec fort au sein de la fédération canadienne. Par conséquent, le rapprochement le plus explicite entre l’Union nationale et la CAQ est leur appuie à un projet autonomiste pour le Québec. Contre la souveraineté, la CAQ propose donc un Québec qui s’affirme à l’intérieur du Canada par une saine gestion financière qui le rend moins dépendant de la péréquation fédérale.

Cette affirmation du Québec au sein du Canada signifie également de reprendre le contrôle sur l’immigration. Nous nous rappellerons de la phrase utilisée par François Legault afin de justifier une diminution du nombre d’immigrants au Québec : « en prendre moins, mais en prendre soin ». Il faut rappeler, également, les réformes au système des étudiants étrangers et des travailleurs étrangers comme le programme de l’expérience québécoise (PEQ). À la différence de l’ADQ, la CAQ a su allier le conservatisme moral de celle-ci avec le professionnalisme économique jadis rattaché au PLQ. Ce faisant, la CAQ a réussi à se faufiler, dans l’espace idéologique du Québec, entre le PLQ et le PQ : rendant ces deux derniers obsolètes. Sur ce point, la position privilégiée par la CAQ sur la laïcité est un autre exemple d’enjeu sur lequel celle-ci souhaite s’opposer au multiculturalisme canadien.

Le succès de la CAQ de se positionner au centre du spectre idéologique au Québec s’exprime, par ailleurs, par la chaise musicale auquel s’adonne les différents députés ayant transités par la CAQ, le PQ ou le PLQ. Nous avons déjà fait remarquer que Legault est un ancien ministre péquiste. Il y a une panoplie d’autres exemples comme l’ancien député du PLQ Sébastien Proulx qui était avant à la CAQ; Gaétan Barette maintenant au PLQ et anciennement à la CAQ; Marguerite Blais anciennement au PLQ et maintenant ministre des aînés pour la CAQ. Un dernier exemple impressionnant est Dominique Anglade, présentement cheffe du PLQ, anciennement présidente de la CAQ. Sébastien Proulx et Gaétan Barette étaient notamment des voix fortes au sein du PLQ afin de faire accepter, par ce parti, une position plus conforme au rapport Bouchard-Taylor au sujet de la laïcité. La CAQ a donc réussi avec brio à adopter une position politique capable de rallier des députés au-delà de la fraction souverainiste-fédéraliste.

C’est cette capacité de la CAQ à fournir une voie qui transcende ce clivage qui lui permet de dominer complètement l’espace politique au Québec.

Une transformation des enjeux et période de réalignement

Éric Bélanger et Richard Nadeau distinguent entre deux catégories d’élection caractéristiques d’un réalignement électoral. D’abord, il y a l’élection de rupture ouvrant une phase de réalignement de l’ordre politique existant. Cette phase de réalignement peut durer plusieurs élections avant de se stabiliser. Ensuite, il y a une élection de réalignement qui clôt la phase de rupture et consolide le nouveau statu quo. À partir de 1995, l’enjeu principal dans la politique québécoise s’est transformé avec la défaite référendaire. La tirade de Jacques Parizeau contre le « vote ethnique » présageait un tournant au Québec. L’élection de 2007 qui vit l’émergence de l’ADQ comme opposition officielle à l’Assemblée nationale a constitué, sur cet aspect, une élection de rupture. En effet, cette élection a confirmé pour la première fois une rupture avec l’époque précédente où l’enjeu de la souveraineté dominait l’espace politique. À partir de 2007, la question de l’affirmation culturelle promue par la crise des accommodements raisonnables et l’immigration deviendra un enjeu d’envergure dans l’espace public québécois.

Cette question de la légitimité de l’affirmation de la culture majoritaire au détriment des cultures minoritaires qui doivent s’assimilées à la culture dominante est sans conteste la chasse gardée de la CAQ. Aucun autre parti ne peut faire compétition à celle-ci. Certes, sur l’affirmation de la culture québécoise, le PQ détient des affinités avec la CAQ, mais son attachement à la souveraineté et sa proposition de référendum sont très impopulaires auprès de la population québécoise. L’élection d’octobre 2018 est venue confirmée le présage de l’élection de mars 2007.

Bélanger et Nadeau listent trois conditions pour parler d’un réalignement : les deux premières impliquent qu’il y a un changement significatif à la fois dans le niveau et la structure des appuis partisans. C’est-à-dire si un nouveau parti fait des gains significatifs au détriment des partis traditionnels et si une frange substantielle de l’électorat se déplace en bloc vers un nouveau parti. Lors de la dernière élection, la CAQ, un parti marginal jusque-là, est devenu le gouvernement majoritaire du Québec. De plus, une partie significative de l’électorat est passée aux mains de la CAQ : plusieurs châteaux forts péquistes et libéraux sont tombés au bénéfice de la CAQ. Le PQ a presque complètement disparu du paysage politique, alors que le PLQ est presque entièrement confiné aux îles de Laval et Montréal. Enfin, ces périodes de réalignements sont généralement précédées d’une crise politique majeure ou d’une transformation importante de l’ordre du jour politique. Les accommodements raisonnables et la laïcité ont, définitivement, provoqué une crise et une transformation de l’ordre du jour politique. Dorénavant, l’enjeu principal est de préserver la culture québécoise contre le multiculturalisme canadien. Cette préservation peut très bien s’accommoder du fédéralisme canadien.

Ces périodes de réalignement, précisent Nadeau et Bélanger, peuvent s’étendre sur plusieurs élections. C’est pourquoi, je doute que nous soyons encore complètement sorties de la période de rupture. Notamment, puisque aucun parti politique n’a encore émergé pouvant faire face à la CAQ de façon sérieuse sur une période prolongée.

Élection 2022 et PCQ

Jusqu’à maintenant aucun parti semblait en mesure de contester la domination caquiste au Québec. Or, dans les dernières semaines une tendance dans les sondages semble indiquer que le PCQ est le seul parti en mesure de gruger des voix à la CAQ. Le PCQ repose principalement sur le mécontentement contre les mesures sanitaires et la gestion de la pandémie par le gouvernement. C’est, peut-être, trop peu comme plateforme pour renverser la situation, surtout si la pandémie continue de s’améliorer. En revanche, un renversement soudain et un retour des mesures restrictives pourraient avoir un impact notable sur les appuis pour le PCQ. Par exemple, la décision du gouvernement de maintenir l’état d’urgence sanitaire pourrait expliquer ce gain du PCQ dans les dernières semaines.

Un évènement rocambolesque indique, par ailleurs, l’ampleur de cette opposition à la gestion de la pandémie par la CAQ. Rappelons-nous que la députée Claire Samson avait été expulsée par la CAQ pour avoir effectué un don au PCQ et a rejoint ce parti par la suite. Jusqu’à ce jour, elle demeure la seule députée du PCQ à l’Assemblée nationale.

Conclusion

En somme, nous avons vu que la CAQ a remis à l’ordre du jour l’autonomisme promut par l’Union nationale de Maurice Duplessis. Ce faisant, elle a réussi à occuper une place idéologique mitoyenne entre le PLQ et le PQ. Par conséquent, le retour de l’option autonomiste permet à la CAQ de couper l’herbe sous les pieds des deux formations politiques traditionnelles du Québec depuis 1976. Elle peut alors se présenter véritablement comme une alternative et une coalition permettant de transcender le clivage fédéralisme-souverainisme.

Dès lors, l’élection provinciale d’octobre 2018 n’était que la dernière saga de cette phase de rupture dans laquelle le Québec est entrée suite à l’élection de mars 2007. Sans doute, cette saga n’est pas terminée surtout avec l’émergence récente du PCQ sur la scène politique. Cette nouvelle formation politique, si elle réussit à se dissocier des courants complotistes ou radicaux de sa base, risque de causer de sérieux ennuis à la CAQ aux prochaines élections. D’autant plus que les experts préviennent qu’une nouvelle vague de Covid19 pourrait frapper le Québec au courant de l’automne prochain.

Références bibliographiques

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